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que non-seulement elles se maintiennent seules, faisant face à toutes les dépenses de l’administration, d’un corps de plus de dix mille hommes disciplinés à l’européenne, mais que chaque année elles viennent encore au secours de la métropole. Fixer le chiffre de ce secours est impossible. De loin en loin, quelques gouverneurs, quelques surintendans des finances publient des comptes-rendus, seuls documens que l’on puisse consulter sur la situation financière des Philippines. En 1841, quelques journaux de la Péninsule, inspirés par l’Angleterre, présentèrent les Philippines à l’Espagne comme une charge lointaine et onéreuse. Une discussion violente et animée s’engagea à ce sujet. Des pièces turent victorieusement produites en faveur des Philippines. Parmi ces documens, les plus exacts semblent être : l’État de la colonie en 1820, publié par don Thomas de Comin. Selon lui, la recette offrait en cette année un excédant sur les dépenses de 445,444 piastres. On peut citer encore le mémoire de don Francisco Enriquez, intendant de l’armée, surintendant-général des Philippines, qui, en 1835, établissait que la colonie, après avoir payé des dettes considérables arriérées depuis plus de quarante ans, offrait encore 1 million de piastres entièrement disponible ; que les magasins, fabriques, etc., renfermaient 275,000 ballots (fardos) de tabac, qui, à les supposer vendus à leur prix le plus bas, devaient produire la somme de 4,114,817 piastres, à peu près 22,631,493 francs, en ne donnant à la piastre espagnole que sa moindre valeur, 5 fr. 50.

Fille du moyen-âge, décrétée sous l’inspiration du despotisme de Philippe II, sous l’influence fanatique et religieuse des moines, la constitution des Philippines a perdu aujourd’hui la force et l’énergie inhérentes aux idées dont elle fut l’expression ; de l’ancien système monarchique et sacerdotal elle n’a conservé que les fautes et les abus. Ces abus, chaque année, chaque ministère vient encore les aggraver et les rendre plus sensibles aux yeux des Indiens, et lorsque la haine du nom espagnol se répand chaque jour dans l’archipel avec les idées libérales et civilisatrices qui ont triomphé dans l’ancien monde, lorsque seule cette haine long-temps contenue suffirait pour jeter la colonie dans la révolte, les attaques de plus en plus audacieuses de peuplades encore insoumises viennent dévoiler la faiblesse du gouvernement des Philippines et augmenter encore le mépris qui pèse sur lui. Déjà ces sentimens de haine et de mépris commencent à rayonner des provinces du littoral vers les autres provinces de l’intérieur, donnant une nouvelle force aux mécontens qui, dans l’ombre, préparent l’indépendance de leur patrie.

Au sud de Mindanao, entre cette grande île et les terres immenses de Célèbes et de Bornéo, se groupent les îles sans nombre dont se composent les trois petits archipels de Basilan, Sooloo et Tawee-Tawee, habités par des peuplades sauvages et belliqueuses, toujours en guerre avec les Espagnols des Philippines, qui les désignent sous le nom générique de Moros (Maures). Pirates dès l’enfance, hardis navigateurs, forbans intrépides, les Moros rappellent par leur religion, leurs coutumes et la forme de leur gouvernement, ces corsaires algériens jadis la terreur de la Méditerranée, et Bewouan, ville de dix mille ames, capitale des trois archipels, est devenue un nouvel Alger pour les successeurs dégénérés des Pizarre et des Cortez. C’est là que les pirates de Sooloo, de Belawn, de Balanguingui, viennent, comme à un immense bazar, vendre les esclaves que, dans des courses régulières, presque périodiques, ils ont enlevés sur toutes les côtes espagnoles