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Des cabanes en bambou, artistement construites, s’étendent à perte de vue, dominées çà et là par la maison plus élevée, bâtie à l’européenne, de quelque métis enrichi. Pénétrez dans l’une de ces cabanes : un cadre de bois noir entourant une gravure grossièrement enluminée de la Vierge ou du Christ expirant sur la croix, une guitare, un hamac en fils d’abacca, vous dévoilent l’esprit qui anime les Indiens de Manille, esprit d’indolence, de superstition, de naïveté gracieuse, qui partout se reflète et jette sur toutes leurs actions, sur leurs chants, sur leurs danses, je ne sais quel charme et quelle poétique langueur.

Autour de Manille, en remontant le Passig jusqu’à la laguna de Bay, où le fleuve prend sa source, on reconnaît partout l’animation de la grande ville. Santa-Anna, Los Baños, Bulacan, Mariakina, San-Mateo, charmans villages de quelques milliers d’ames, entourent Manille comme autant de faubourgs populeux. Avec leurs rizières verdoyantes, leurs champs parfaitement cultivés, coupés çà et là de routes larges et commodes, bordées de grands arbres et de bambous gigantesques au feuillage délié, ils font des environs de Manille une des plaines les plus riches du monde, et donnent à toute cette partie des Philippines un aspect qui tromperait aisément le voyageur sur leur situation réelle ; mais déjà, à quelques lieues au sud de Manille, le paysage s’assombrit, la négligence espagnole apparaît avec les ruines de Cavite, jadis la seconde ville des Philippines.

Sur les rivages de la baie où s’élève la capitale, au fond d’une anse profonde que sa forme avait fait nommer Cavite (hameçon) par les Indiens, les Espagnols avaient établi le port de guerre des Philippines, un vaste arsenal où se construisaient des galions et des frégates ; ils avaient fondé une ville qui comptait jadis plus de vingt mille habitans, tous occupés aux travaux de l’arsenal et des chantiers de construction. Entourée de fortes murailles, aujourd’hui à moitié abattues, Cavite était à la fois la seconde ville militaire, la seconde ville commerçante de l’archipel et son unique port de guerre. Maintenant elle est presque abandonnée, ses chantiers sont déserts, ses magasins épuisés. Une frégate, quelques faluas, chaloupes canonnières, craintifs garde-côtes des Philippines, attestent encore, avec les ruines de ses monumens, son importance détruite, sa splendeur éteinte à jamais.

Une bannière flottant dans les grands jours à côté d’une croix et au-dessus de la maison en pierre du gouverneur, une humble goëlette se balançant à l’ancre devant quelques cabanes indiennes confusément réunies autour de l’église catholique, tels sont les signes qui restent de la puissance espagnole dans la plupart des provinces des Bissayas et de Mindanao. Peut-être, en débarquant, trouverez-vous un alcade se promenant sous les grands arbres avec un prêtre grave et silencieux, qui porte le costume de saint François ou la robe blanche et noire des dominicains : alors vous aurez vu toutes les autorités civiles et religieuses, toute la population européenne. A côté de l’alcade et du moine, quelques métis, quelques Indiens, quelques Chinois industrieux représentent l’Asie. Suivez la route qui s’ouvre devant vous et qui prolonge la grande rue du village bientôt cette route n’est plus qu’un chemin ; bientôt le chemin, se rétrécissant encore, n’est plus qu’un sentier à peine tracé ; les terres cultivées s’effacent devant vous, une forêt vierge s’oppose impénétrable à tous vos efforts, étend jusqu’aux montagnes voisines, habitées par des peuplades ennemies, sa végétation