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I

L’archipel des Philippines s’étend au sud de la Chine, entre le Japon, les royaumes de Siam et de Cambodje, la presqu’île malaye, les îles hollandaises de la Sonde, et les grandes terres encore inexplorées de la Malaisie, Célèbes et Bornéo. Il forme une longue suite de terres élevées, couvertes de hautes montagnes, et que terminent au nord et au sud Luçon et Mindanao, îles immenses qui n’ont pas moins de trois cents lieues de circuit. Entre ces deux points extrêmes se groupent une infinité d’autres îles moins vastes auxquelles les Espagnols ont conservé le nom de Bissayas, que leur avaient donné les Indiens de Luçon. Parmi les Bissayas, Mindoro, Panay, Négros, Leyte, Zebu, Samar et Bohol occupent le premier rang par l’étendue et l’importance des établissemens que les Espagnols y ont formés. Sur deux lignes parallèles, elles courent, presque en ligne droite, du nord au sud, et leurs rivages, que des canaux étroits semés d’îlots et d’écueils séparent à peine, complètent, avec Palaouan et Bornéo, l’enceinte d’une sorte de mer intérieure protégée à la fois contre les moussons périodiques des mers de Chine, et contre la violence des ouragans furieux connus sous le nom de typhons. Calme et tranquille alors que le retour direct en Europe est rendu fatigant autant que dangereux par la mousson de sud-ouest, cette mer, qu’ouvre au nord le canal resserré de Mindoro, est devenue, depuis quelques années, un passage fréquenté par les navires européens. Quelques écueils, travaux sous-marins des madrépores et des polypiers, sont les seuls dangers qu’elle présente aux navigateurs.

Les Philippines peuvent se diviser en trois groupes principaux. Le premier d’entre ces groupes, le plus septentrional, prend son nom de l’île de Luçon, et comprend la grande île de ce nom, les Batanes, à quelques lieues au nord, et les Îles de Luban, près de Manille. Les Bissayas, que nous avons déjà nommées, composent le second groupe ; Mindanao, le troisième. Les Espagnols ajoutent, il est vrai, à la dernière de ces divisions l’archipel de Sooloo et les îles nombreuses qui en dépendent ; mais les peuplades malaises qui habitent cet archipel, libres du joug de l’Espagne, bravent chaque jour sa puissance, et ne reconnaissent d’autre suprématie que celle du sultan de Sooloo.

A ces trois divisions géographiques correspondent assez exactement, parmi les peuples de l’archipel, trois degrés de culture intellectuelle et morale bien distincts. Dans l’île de Luçon, à part quelques provinces septentrionales, les Indiens ont tous embrassé la foi catholique et reconnaissent l’autorité du gouverneur-général de Manille. Dans les Bissayas, la domination de l’Espagne n’atteint guère que les rivages. Enfin, à Mindanao, la bannière castillane ne flotte que sur quelques points isolés. Dans les provinces septentrionales de Luçon, dans l’intérieur des Bissayas et de Mindanao, vivent, sauvages et indépendans, des peuples d’origine malaise, passionnés pour la liberté et animés d’une haine profonde contre les Espagnols et les Indiens soumis au gouvernement de Madrid. D’abord obligés de défendre leur indépendance contre les entreprises des Européens, ces peuples ont pris depuis long-temps le rôle d’agresseurs, et souvent ils portent dans des expéditions sanglantes et imprévues la terreur et la mort parmi les Indiens catholiques de l’archipel, qu’ils conduisent en esclavage. Ils