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de la propriété foncière en la frappant d’une hypothèque légale au profit du pays, et ne reculent point devant l’idée d’un emprunt forcé. Nous ne dirons rien de l’attitude du gouvernement au milieu de cette anxiété fiévreuse qui l’obsède de ses suggestions ; nous comprenons l’immense responsabilité dont l’appréhension le réduit sans doute à se défier si long-temps de lui-même et à n’avoir pas de pensées qui lui soient propres ; nous ne pouvons pourtant oublier qu’en de pareils labeurs c’est la décision qui est le remède souverain et la souveraine vertu.

Qu’il y ait d’ailleurs dans chacun de ces plans pris à part un germe utile, un côté praticable, nous ne le nierons pas. Il y a seulement dans tous une chose qui nous effraie, l’idée grandissante d’une substitution générale de l’état aux lieu et place des industries individuelles. À toute autre époque, nous aurions vu sans tant d’inquiétude l’action de l’état compter pour beaucoup dans l’existence publique, et nous croyons que cette action, largement exercée, est une des conditions indispensables, un des élémens fondamentaux de la démocratie. Aujourd’hui, cet élément, développé sans réserve par les théoriciens, menace de devenir tout à lui seul et d’absorber complètement la part qu’il ne faut jamais ôter à l’action des individus dans la vie des sociétés, si l’on ne veut pas sacrifier le libre ressort de la vie aux rouages d’un mécanisme inflexible. C’est toujours par l’angle du régime industriel, par le biais des questions financières, que les utopistes modernes ont abordé la réforme des mœurs sociales et sont montés à l’assaut de l’ordre qu’ils trouvaient établi dans le monde. C’est encore par là qu’on nous tâte aujourd’hui, et l’on doit juger quelle précipitation et quel orgueil dirigent l’expérience, quand on sait que l’opérateur a plein pouvoir pour expérimenter.

Nous ne craignons pas de l’affirmer, l’état de choses, tel qu’il est avec ses douleurs et ses périls, se ressent directement de cette expérimentation pédantesque et violente qui nous est appliquée. Nous sommes un peu l’argile du potier ; le potier qui veut nous pétrir est convaincu que nous lui devons encore bien de la reconnaissance, puisqu’il consent à fabriquer avec cette vile matière que nous sommes le beau chef-d’œuvre qu’a rêvé son génie. Ce sublime artisan, le premier ouvrier de France, c’est M. Louis Blanc. Nous ne voulons point insister sur les discours qui sortent de temps en temps de cette retraite assez magnifique où la gratitude nationale l’a d’avance logé. Ce sont des oracles passablement longs, contre l’ordinaire du genre, mais qui ont, en revanche, le mérite d’être trop clairs pour tout le monde, un mérite dont l’auteur se passerait bien. Quand on fait tant que de s’asseoir sur le trépied, ce n’est pas pour dire des choses d’une simplicité si simple, qu’à première vue personne n’en veuille, tant on voit bien tout de suite le peu qu’elles valent. Il n’y a que M. Louis Blanc qui soit aujourd’hui persuadé que ce peu est beaucoup ; M. Louis Blanc se confine dans les prospérités philosophiques de son département ; il en jouit avec une grace dédaigneuse pour quiconque ne partage pas sa béatitude. M. de Lamartine a tout le tracas de l’Europe ; il faut qu’il suive au pas de course les armées en marche, qu’il ait l’œil sur les insurrections des peuples et l’oreille aux conversations des diplomates. M. Ledru-Rollin est souvent bien empêché de ses commissaires. M. Garnier-Pagès, avec un dévouement qui épuise ses forces, travaille nuit et jour