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Justin Ouvrié, Hildebrandt, Joyant, Kiorboé et Mlle Rosa Bonheur, sont ceux de ces artistes dont les ouvrages se présentent tout d’abord à la mémoire. Depuis les dernières expositions, Mlle Rosa Bonheur a fait d’immenses progrès ; elle est aujourd’hui un de nos meilleurs peintres d’animaux. Ses bœufs et taureaux du Cantal sont bien certainement un des plus remarquables morceaux de l’exposition de cette année. La précision et la souplesse de son dessin, la simplicité magistrale de sa touche, qui ne se refuse cependant à aucun détail et à aucune finesse ; la vigueur et la réalité de son coloris, toutes ces qualités du vrai peintre, qu’on a fort injustement regardées comme l’attribut particulier de l’homme, ont été largement départies à Mlle Rosa Bonheur ; elle n’a qu’à persévérer dans ses consciencieuses études pour prendre dans l’école française actuelle un rang qu’elle gardera.

Il faut clore cette longue revue, et cependant nous n’avons pu mentionner bien des ouvrages qui ne sont pas dépourvus de mérite. D’où vient donc qu’à la première vue l’aspect de cette immense collection est si déplaisant ? D’où vient que le premier jour, en sortant du Louvre, chaque amateur désappointé condamnait sommairement le Salon de 1848 comme détestable ?

Ce jugement s’explique par cette abondance même. Il faut, pour démêler du milieu de cette confusion quelques toiles remarquables, et la plupart de moyenne ou de petite dimension, une persévérance que très peu possèdent. On aime mieux rester sur une première impression, et on est injuste. Nous devons reconnaître que la grande peinture, celle qui exige la réunion de qualités rares et exceptionnelles, telles que l’élévation, la beauté, la grace, le sentiment poétique, n’est que fort médiocrement représentée dans cette assemblée populaire des arts ; MM. Ingres, Delaroche, Scheffer, Gleyre, d’autres encore, se sont tenus à l’écart. L’école de la couleur et de l’énergie, celle de la fantaisie brillante, s’y trouvent plus au complet. Dans les écoles d’un ordre secondaire, dans le paysage, dans la peinture de genre, les hommes d’un talent consommé sont nombreux ; mais peu de forces nouvelles se sont révélées. Si l’on ne peut donc pas conclure de l’expérience qui vient d’être faite que l’art soit en progrès, on ne doit pas non plus le déclarer en décadence ; on ne doit pas surtout désespérer de son avenir. Quoi que puissent dire les alarmistes de l’intelligence, nous avons la ferme conviction que l’art survivra à la grande crise qui renouvelle la société, car dans tous les temps l’art a profité du régime de la liberté.


F. DE LAGENEVAIS.