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pour obéir aux exigences de l’égalité ou aux devoirs de la fraternité que cette commission a réparti si confusément, et avec une sorte d’équité si déplaisante, le bon et le mauvais ? Sans doute, dans les dernières expositions, quelques toiles douteuses, parfois même un mauvais ouvrage, favorisé par le bon plaisir, ou soutenu par ces influences dont on a, hélas ! trop abusé, se glissait dans le grand salon carré. C’étaient là de rares exceptions, et en général tous les morceaux qui occupaient les places d’honneur méritaient cette distinction. Comment se fait-il qu’aujourd’hui d’informes pochades aient trouvé place dans cette enceinte privilégiée et s’y étalent avec une sorte d’impudence ? En revanche, d’excellens ou de consciencieux ouvrages, comme la Mort de Lara, de M. Eugène Delacroix, l’Anacréon, de M. Gérôme, les Sirènes, de M. Lehmann, la Vallée de Chevreuse, de M. Palizzi, le Rayon de soleil, de M. Nanteuil, en ont été exclus. Nous aimons à croire que la précipitation seule a causé ces erreurs. Il est difficile, en effet, de classer convenablement plus de cinq mille ouvrages en moins de quinze jours. Comment en outre conserver son sang-froid, sa sûreté de jugement, et ne pas se laisser aller à de déplorables concessions devant cette formidable invasion du médiocre ? Dans toute l’étendue de la galerie, le bon et le mauvais sont donc assez équitablement répartis. Il est seulement un coin favorisé où les artistes jurés, obéissant à un légitime mouvement d’impatience et de dignité blessée, se sont plu à réunir certains chefs-d’œuvre. Le premier jour de l’exposition, arrivé là, le public ébahi s’est arrêté tout court. Les quolibets, les rires injurieux, les huées même, se sont succédé. Le ridicule avait fait émeute. Nous ne savons pas si les victimes de cette exécution solennelle avaient jamais réclamé contre d’injustes exclusions, mais nous sommes certain que chacun de ces malheureux, si cruellement frappés dans leur existence et leur vanité d’artiste, a dû verser des larmes de sang et regretter les muettes exécutions de l’ancien jury.

Quoi qu’il en soit, l’épreuve a été décisive. Le public et les artistes, intéressés chacun d’une manière différente, réclament désormais un jury choisi par élection et un règlement qui tiendra compte des droits acquis et ne laissera place ni aux injustices ni aux surprises. Il ne faut pas croire, en effet, que, par cela seul qu’un corps est nommé à l’élection, il soit parfaitement éclairé, parfaitement équitable, et qu’il ne laisse aucune prise aux influences fâcheuses et aux petites passions.

Les arts n’ont peut-être jamais pris en France un développement plus considérable que dans ces dernières années. On a immensément produit ; mais les œuvres sont plus variées que choisies. On reconnaît tout d’abord, en parcourant la vaste galerie du Musée, recouverte de tableaux modernes dans toute son étendue, cette facilité de conception et de reproduction qui caractérise le génie français. Dans toute cette