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ils reprirent le chemin de leur pays, par Pontorson, Dol, Angers, Le Mans. Pendant cette longue route, dont chaque station fut marquée par une bataille, Ragueneau n’avait point cessé de veiller sur la famille Boguais. Seule, grace à lui, cette famille ne s’était point aperçue de la disette qui décimait l’armée. Maurice pourvoyait à tout par des miracles d’adresse ou d’audace. La monture qui servait alternativement à la mère et aux trois sœurs était morte de fatigue en arrivant à Dol : il se glissa, pendant la nuit, dans une batterie républicaine, détela les deux chevaux d’un caisson et les leur amena. Céleste, depuis le passage de la Loire, était restée languissante, elle souffrait du froid et manquait de vêtemens d’hiver : Ragueneau attaqua deux hussards pour avoir leurs pelisses, qu’il apporta à la jeune fille.

Toute l’armée était habillée ainsi de ce que le hasard de la guerre avait pu lui fournir. Quelques chefs portaient des dolmans pris au théâtre de La Flèche ; d’autres, des robes de procureurs, des chapeaux et des jupons de femmes. Mme de Lescure avait pour manteau une couverture, et Mme d’Armaillé s’était enveloppée avec ses enfans dans une vieille tapisserie. L’excès de la misère empêchait de voir le ridicule de cette lugubre mascarade ; chacun était absorbé par ses souffrances, et on ne voyait rien au-delà.

Deux jours après leur arrivée au Mans, les Vendéens virent venir trois colonnes républicaines par les routes d’Angers, d’Alençon et de Tours : ces colonnes étaient commandées par Marceau. Larochejacquelein leur disputa les abords de la ville jusqu’à la nuit. Battu, il voulut encore s’arrêter à la tête du pont ; mais tout se débanda, tout s’enfuit, et lui-même fut emporté dans la déroute. Cependant quelques centaines d’hommes, ayant à leur tête M. de Scépeaux, s’obstinèrent à défendre la grande place. Maurice y trouva le vieux Ragueneau avec ses trois fils. Serrés l’un contre l’autre, ils continuèrent, pendant toute la nuit, une résistance sans espoir. Enfin quand le jour parut, ceux qui restaient debout se comptèrent ; ils étaient cinquante à peine. Le sonneur de cloches vit à ses pieds son oncle et deux de ses cousins ; un seul avait survécu ! Ragueneau courut à la maison où il avait laissé son cheval et se précipita sur la route de Laval. Il espérait que la prolongation de la lutte aurait laissé à Mme Boguais et à Marie-Jeanne le temps d’échapper. Il les chercha partout, il s’informa ; mais la foule, égarée de terreur, fuyait sans répondre. Westermann la côtoyait avec sa cavalerie, sabrant tout ce qui s’écartait, et laissant après lui une traînée de cadavres de quatorze lieues.

De Laval, les fuyards étaient descendus vers Craon, Pomancé, ils atteignirent Ancenis au milieu de la nuit. Là, arrêtés par la Loire, ils firent halte, et l’impossibilité d’aller plus loin les rassembla. Chacun commence à se reconnaître et à regarder autour de lui. Tout à coup un