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par les obstacles. L’armée vendéenne, au contraire, toute à la défense de ses clochers, ne voyait rien au-delà. Elle ne suspendait la lutte que pour célébrer Pâques fleuries ou pour faire la moisson. Il y a dans toute cette première campagne je ne sais quel lyrisme guerrier mêlé à une simplicité rustique qui surprend et intéresse. Toutes les illusions sont encore dans leur fleur, les sentimens humains n’ont pas eu le temps de se corrompre ; on combat avec rage, mais, une fois maître du champ de bataille, on renvoie les prisonniers en se contentant de leur couper les cheveux. Nul ne songe à calculer le prix de ses sacrifices. Le rêve du plus ambitieux fait sourire ; général on soldat, c’est la même naïveté. Larochejacquelein espère, s’il rétablit la monarchie, que le roi ne lui refusera pas un régiment ; Ragueneau pense qu’on ajoutera une cloche à sa sonnerie. Quant aux soixante mille paysans qui ont mis leurs biens et leur vie à cette terrible loterie de la guerre, ils n’attendent rien ; ils défendent seulement ce qu’ils appellent leurs droits et croient avoir Dieu lui-même pour auxiliaire. Un médaillon de la vraie croix, que possède Musseau, leur annonce un avenir funeste ou favorable, selon qu’il s’entoure d’une auréole sanglante ou lumineuse, et la miraculeuse coulevrine trouvée à Cholet est toujours pour eux un talisman qui leur assure la victoire.

Prise une première fois par les républicains, cette coulevrine avait été emmenée à Fontenay. Cathelineau y conduit l’armée.

— Enfans, dit-il, nous n’avons plus de poudre, il faut reprendre Marie-Jeanne avec des bâtons.

Les Vendéens s’élancent contre une batterie de quarante bouches à feu ; une partie tombe ; quelques-uns seulement arrivent au milieu des canons. Un garçon menuisier, Pierre Rochard, Hercule villageois, célèbre par ses témérités, reconnaît la coulevrine, se jette sur elle et l’entoure de ses bras comme s’il voulait l’emporter de la mêlée. Les artilleurs républicains le hachent à coups de sabre ; mais il ne lâche point prise, et, pendant qu’il les occupe à le tuer, il donne le temps à ses compagnons d’arriver et de reprendre Marie-Jeanne. La coulevrine fut ramenée au bruit des cantiques, parée de feuillages et de fleurs. En la revoyant, les Vendéens pleurèrent de joie.

Les faits semblaient, du reste, favoriser toutes les espérances. Battus partout, les bleus avaient laissé prendre Bressuire, Thouars, Parthenay, Saumur, Angers. Cinq armées républicaines s’étaient successivement englouties dans cet océan de populations révoltées ; elles arrivaient au cri de : Vive la république ! luttaient un instant, puis sombraient, comme le Vengeur, sous leur drapeau tricolore. Ces victoires pourtant, il faut bien le dire, épuisaient l’insurrection. Celle-ci perdait d’ailleurs chaque jour quelque chose de son premier caractère. La guerre avait fini par endurcir tous les coeurs. Les plus mauvais y