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à figure ascétique, nommé Musseau. Ne remarquez-vous point, vous autres, que, depuis quelques semaines, on recommence à voir les merveilles des anciens temps ? Les femmes de Saint-Lezin ont entendu, dans les landes, de grands murmures de voix qui ne pouvaient être que les plaintes des morts sortis de leurs tombes pour avertir les vivans ; des globes de feu tricolore sont tombés près de Cholet, comme signes d’alliance entre le démon et les républicains ; enfin l’image de la Vierge a quitté l’autel à l’approche d’un jureur[1], et est allée se placer d’elle-même dans le tronc d’arbre du grand carrefour. Je vous dis que les habitans du paradis ont les yeux sur nous, et qu’il va se passer des choses qu’aucun homme n’a jamais vues !

La plupart des auditeurs applaudissaient en appuyant l’opinion de Musseau par le récit de quelques prodiges. Il faut se rappeler quelle était alors la situation du pays. L’émigration des familles nobles avait d’abord inquiété les esprits, la fermeture des églises était ensuite venue troubler les consciences ; la levée de trois cent mille hommes acheva d’aliéner les coeurs. Attaquées successivement dans leurs habitudes, dans leurs croyances et dans leurs affections, les campagnes s’indignèrent ; des prêtres cachés attisaient ces ressentimens ; les imaginations exaltées se mirent à rêver dans leur fièvre et à prendre leurs rêves pour des réalités. Les plus crédules eurent des visions, les fourbes firent des miracles, tous crurent que le ciel se faisait complice de leurs passions, et que leur cause était celle de Dieu.

Musseau recommençait à énumérer les avertissemens surnaturels qui annonçaient la venue des grands jours, lorsqu’il fut tout à coup interrompu par des cris poussés à l’entrée du bourg et par l’apparition d’un jeune paysan qui arrivait entouré de femmes et d’enfans : c’était Maurice Ragueneau, sacristain de Chanzeaux, parti quelques heures auparavant pour vérifier les bruits répandus. Il revenait annoncer que les républicains n’avaient point été attaqués par des étrangers, mais par les gars des paroisses voisines, qui les avaient chassés de Saint-Florent, de la Poitevinière, de Jallan et de Chemillé, où ils leur avaient pris trois canons. La principale troupe était conduite par Cathelineau, surnommé le Saint de l’Anjou, Forest venait de le rejoindre avec les hommes de Saint-Lezin, et Stofflet avec ceux de Maulevrier et de Trementines ; le lendemain ; on devait marcher sur Cholet.

La nouvelle était trop inattendue pour ne pas soulever toutes les ames ; l’effet en fut magique ; un cri général de révolte s’éleva. A Chanzeaux comme ailleurs, les paysans avaient jusqu’alors tout supporté, non par résignation, mais par sentiment d’impuissance. Les victoires de Cathelineau étaient la première révélation de ce qu’ils pouvaient contre

  1. Nom donné aux prêtres qui avaient prêté le serment exigé par la constitution.