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intervention de la part de l’autorité qui siège au Luxembourg a été purement officieuse, que ce sont les ouvriers et les patrons eux-mêmes qui prennent la commission pour arbitre, et enfin qu’elle n’impose pas ses décisions, qui sont librement acceptées. Cette explication, vingt fois répétée, n’en est pas pour cela plus sérieuse. La commission se pose en oracle ; c’est apparemment pour qu’on la consulte. Son arbitrage, dont elle fait valoir le désintéressement, nous paraît dériver nécessairement de l’attitude qu’elle a prise. Les ouvriers y ont recours dans l’espoir de donner ainsi à leurs exigences la sanction du gouvernement, et quand les patrons l’invoquent, c’est afin de diminuer leurs sacrifices, en s’abandonnant à celui de leurs deux adversaires qui leur semble le plus éclairé. Au reste, la commission n’y va pas de main morte. Après avoir réglé les heures de travail, elle est en train de régler les salaires. Les cochers d’omnibus, les paveurs, les boulangers, les débardeurs, ont déjà leurs tarifs. Il ne reste plus qu’à imposer un maximum à la production et qu’à renfermer la consommation dans certaines limites. Nous pourrons alors nous croire à Salente, et il sera prouvé que M. Louis Blanc, comme le voulait le philosophe de Louvain, a été élevé dans la lecture exclusive de Télémaque.

Nous venons de passer en revue ce que la commission a fait ; voyons maintenant ce qu’elle a laissé faire.

Les ouvriers veulent élire leurs chefs. Dès les premiers jours de la république, une proclamation affichée à tous les coins de rue exprimait ce vœu de la manière la plus absolue et la plus énergique : « Plus de privilèges entre nous et les citoyens qui doivent nous servir de guides dans l’exécution de nos travaux. Il est de toute nécessité que, dans chaque atelier, dans chaque administration, les ouvriers emploient la voie de l’élection pour nommer leurs contre-maîtres ; croyons que cette mesure maintiendra l’union pour le bien de tous, n’étant plus obligés d’obéir à un chef imposé. » De la doctrine on n’a pas tardé à passer aux actes. Les ouvriers, non contens de nommer les contre-maîtres, ont poussé leur ambition jusqu’à désigner les ingénieurs et les administrateurs. Quand ils ne pouvaient pas procéder par voie d’élection, ils agissaient par voie d’exclusion. Ceux qui étaient employés au chemin du Nord ont exclu de leurs rangs, malgré l’administration, plusieurs contre-maîtres ; ceux de Versailles (rive gauche) ont destitué l’ingénieur et deux administrateurs. La même tentative a été renouvelée sur la ligne d’Orléans, où il a fallu, pendant quelques jours, remettre l’autorité aux mains de deux commissaires. On aurait de la peine maintenant à trouver un seul atelier dans la capitale où le chef ose commander et où l’ouvrier veuille obéir.

Les ouvriers, avec le bon sens qui leurs est naturel, comprendront bien vite les nécessités de la vie politique ; mais il y a trop peu de temps