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véritable comité de salut public. Ses délibérations ne portaient d’abord que sur des questions générales, mais elle n’a pas tardé à intervenir dans les différends des ouvriers avec les patrons et à s’ériger en arbitre ; enfin, elle a rendu des décrets qui prescrivent des règles et qui prononcent des peines. Aujourd’hui, son président a une armée derrière lui, et il absorbe en lui le gouvernement, dont ses collègues ne sont plus que les ministres.

En exposant ces faits, je ne blâme pas, je raconte. A la rigueur, il suffirait à la commission, pour expliquer cette usurpation rapide et complète, d’invoquer les lois de la nécessité. Le gouvernement est chargé non d’étudier, mais d’agir. Dès que l’on donnait à M. Louis Blanc une question à examiner, il devait se sentir entraîné à la résoudre. Dès que cette question embrassait le domaine actif de la société, on lui décernait la dictature. Il ne reste donc plus qu’à rechercher s’il en a fait usage dans l’intérêt de la vérité, du pouvoir et du pays.

La commission du travail, ou, pour emprunter le style barbare du décret, la commission pour les travailleurs, est, sans contredit, animée d’un amour sincère du bien ; mais ses premiers actes ne respirent pas une grande sagesse. Les discours de M. Louis Blanc sont exagérés et violens ; ses résolutions, sans mesure. Il recommence périodiquement le même exposé d’une théorie, au bout de laquelle ne se présente jamais une conclusion tant soit peu pratique. A chaque pas qu’il fait, on sent l’hésitation, le décousu, l’absence de plan. L’industrie est abandonnée ainsi à une direction qui accuse les défauts les plus opposés : les tâtonnemens dans l’arbitraire.

Mais de quels élémens se compose cet aréopage industriel ? M. Louis Blanc, cédant à des préoccupations exclusives, n’y avait d’abord appelé que les délégués des ouvriers ; on se ravisa cependant, et « considérant, dit naïvement l’arrêté, qu’il est juste qu’à leur tour les délégués des patrons ou chefs d’industrie soient convoqués, » on indiqua pour ceux-ci une réunion qui n’eut lieu que le 17 mars, dix-sept jours après la première réunion des ouvriers eux-mêmes. Dans l’intervalle, la commission crut devoir s’entourer des hommes compétens (car c’est ainsi que le Moniteur les désigne), et ces hommes compétens furent pris, non pas parmi les chefs d’industrie que recommandait une longue expérience, non pas parmi les économistes sérieux, les historiens ou les philosophes, mais parmi les socialistes, dont le bon sens national avait constamment repoussé les utopies. Maintenant, la commission a ses grands jours, dans lesquels son président tient une espèce de lit de justice pour faire comparaître la société à sa barre ; les délégués y siègent, mais en personnages à peu près muets, et sans autre fonction apparente que celle d’acclamer. En dehors de ces solennités du travail figurent les comités auxquels assistent, avec voix délibérative, les délégués des délégués, que l’on choisit, pour plus d’égalité, par la voie