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venait de s’entretenir avec don Blas, l’homme qui, depuis vingt-cinq ans, a été le mauvais génie du Mexique, le prétexte ou la cause de toutes ses révolutions, en un mot le général don Antonio Lopez de Santa-Anna.


II

Nous restâmes seuls le lieutenant et moi. Je priai don Blas de m’expliquer les scènes dont je venais d’être témoin. Le lieutenant me donna quelques détails sur le mécontentement causé par la loi du quinze pour cent. C’était, en effet, ce mécontentement qui servait de prétexte au nouveau pronunciamiento. Les nombreux voyageurs que j’avais rencontrés sur la route appartenaient à un régiment de cavalerie en garnison près de Mexico. Don Blas avait été chargé d’enrôler ces cavaliers au service de Santa-Anna, avec la promesse d’échanger son grade actuel contre un grade de capitaine dans la cavalerie. Je compris alors pourquoi l’asistente de don Blas avait mis tant d’empressement à se procurer un uniforme de cavalier. Jour avait été pris, par les partisans de Santa-Anna, pour introduire dans Mexico sous un déguisement bourgeois, chose facile dans un pays où le costume militaire ressemble assez au costume civil, le régiment nouvellement embauché.

De retour à l’auberge, le lieutenant raconta ce qui venait de se passer aux officiers qui avaient pris les devans sur leurs soldats. La séance fut alors levée, car le projet dont on attendait l’exécution venait de se réaliser, et ce fut au tour des officiers de regagner isolément la ville. Nous reprîmes à pied, comme les autres, don Blas et moi, le chemin de Mexico ; quant aux soldats, ils devaient se disséminer prudemment par toutes les barrières.

Chemin faisant, je manifestai au futur capitaine les craintes que j’éprouvais sur le sort du convoi d’argent exposé aux attaques des généraux révoltés.

— Y auriez-vous par hasard quelque intérêt ? me demanda-t-il vivement.

— Aucun ; mais le pillage de ce convoi entraînerait des pertes considérables pour plusieurs de mes compatriotes.

— Soyez sans crainte, me dit-il, une protection cachée, mais puissante, s’étend sur le convoi. Un courrier extraordinaire, parti ce matin, l’a fait mettre en lieu de sûreté. Le muletier attendra la fin des événemens, et le commandement de l’escorte qui l’accompagne sera remis en des mains braves et fidèles ; j’y prends un aussi vif intérêt que vous.

— Et pourquoi ? demandai-je étonné.

— Pourquoi ? Parce que nous ne voulons pas qu’un attentat à la propriété souille la glorieuse révolution que nous allons faire. Et puis, c’est moi-même qui dois commander l’escorte de la conducta.