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Nous venons de mettre en regard deux opinions bien contraires. Sans vouloir rien préjuger, il est permis de dire que ni de l’une ni de l’autre part on ne rencontre l’autorité d’une démonstration positive. Après ce qui a été dit pour ou contre l’influence morale du gouvernement de l’Inde, il est encore aujourd’hui presque impossible d’admettre sans réserve l’une ou l’autre opinion. Cet état d’une question. si incomplètement envisagée jusqu’à ce jour, l’expérience acquise par un long séjour dans le pays, nous enhardissent à montrer le gouvernement de l’Inde sous un aspect qu’il faut bien connaître, si on veut se rendre compte de son action sur la société hindoue : nous voulons parler de l’administration civile. Montrer comment fonctionne cette administration dans la province de l’Inde anglaise la plus peuplée, la plus riche, la plus fertile, et surtout la mieux gouvernée, c’est-à-dire le Bengale, ce sera, nous l’espérons, avoir considérablement simplifié le débat.


I

On sait que l’Inde anglaise est divisée en trois présidences : celles du Bengale, de Madras et de Bombay. Dans ces deux dernières, le pouvoir exécutif est confié à un gouverneur nommé par la cour des directeurs et assisté d’un conseil composé de trois membres ; mais cette autorité est purement locale, et il n’est aucun de ses actes qui ne puisse être révoqué par le gouvernement suprême, dont le siège est à Calcutta. Là réside un gouverneur-général également nommé par la cour des directeurs : Ce gouverneur est assisté de quatre conseillers, dont trois doivent être choisis parmi les employés de la compagnie. La nomination des gouverneurs, ainsi que celle du gouverneur-général, est soumise à l’approbation de la reine. Le gouvernement suprême n’a pas seulement à prendre les mesures politiques et législatives qui s’appliquent à tout l’empire, il est encore chargé du soin d’administrer le Bengale. Le gouverneur-général, quand il est en tournée, se fait remplacer dans ces dernières fonctions par l’un des trois membres du conseil qui appartiennent au service de la compagnie ; le quatrième est un jurisconsulte, et il n’a droit de voter qu’en matière législative.

Ce n’est point toutefois par les actes de ces fonctionnaires qu’on peut se rendre un compte exact du rôle de l’administration anglaise dans l’Inde : ce sont les employés secondaires qui doivent surtout nous occuper, car ils sont en communication directe avec le peuple, qui ne connaît qu’eux. L’Hindou voit dans l’alliance d’un juge, d’un magistrat[1] et d’un collecteur l’expression la plus complète du gouvernement anglais. C’est une curieuse histoire que celle du corps administratif que

  1. Ce mot désigne dans l’Inde le fonctionnaire spécialement chargé de la police.