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d’un élément supérieur, après une gestion plus ou moins laborieuse, ont abouti à une liquidation volontaire ou à la faillite. S’il fallait produire des exemples, on n’aurait que l’embarras du choix.

On allègue les avantages que donnerait à une association d’ouvriers l’économie de la vie prise en commun. Cette économie est compatible avec tous les systèmes de travail. Un manufacturier peut la procurer aux ouvriers qu’il emploie aussi aisément que ceux-ci, dans un atelier social ou national, se la donneraient eux-mêmes. J’ai vu, en 1833, à la Sauvagère près de Lyon, quatre cents ouvriers prendre leurs repas dans un réfectoire commun où le dîner de chacun coûtait 35 à 40 centimes. Quant au logement en commun, il me paraît beaucoup moins séduisant, et, en définitive, moins avantageux. Il suppose la vie cénobitique. Pour faire vivre ensemble, à toutes les heures du jour et de la nuit, plusieurs familles, il faudrait toute l’énergie du sentiment religieux le plus exalté. La discorde entre les hommes et la promiscuité des femmes seraient les premiers effets de la vie commune dans les phalanstères.

Allons plus loin. En généralisant l’association des travailleurs jusqu’à l’égaler en étendue à l’état lui-même, on détruirait l’esprit d’association. L’intérêt de réunir ensemble des sentimens, des capitaux, des efforts n’existerait plus, du moment que le pouvoir se chargerait de penser, de prévoir et d’agir pour tout le monde. Sans doute, il pourrait arriver que l’on prévînt ainsi, en cas de succès, des misères accidentelles et partielles ; mais, lorsque des individus ou des associations privées se trompent en matière d’industrie, ces mécomptes ne frappent que des individus ou des localités. Supposez le gouvernement directeur de l’industrie ; les erreurs se produiront sur une plus grande échelle, la ruine frappera le pays tout entier, une faillite sera un véritable cataclysme.

En faisant de l’état le chef de l’atelier social, M. Louis Blanc l’a évidemment supposé infaillible ; il l’a placé dans ces régions élevées d’où l’on peut apercevoir et par conséquent régler les destinées du genre humain. Par une témérité qu’explique seul l’élan des révolutions, il l’a égalé à la Providence. Voilà le rêve, voilà de quelle hauteur il faudra descendre pour se placer dans la triste réalité.

Nous avons examiné la théorie de M. Louis Blanc ; il nous reste à la voir à l’œuvre. Après l’auteur, viendra le dictateur.


LEON FAUCHER.