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dans l’industrie manufacturière que dans l’industrie agricole, si ce n’est parce que, la culture du sol étant à peu près l’occupation de tout le monde, l’origine des produits de la terre s’effaçant dans l’immensité du marché et la production ayant à défrayer des besoins presque sans limites, on peut faire baisser, mais non pas avilir les prix ? Depuis la réforme opérée dans les tarifs par sir Robert Peel, le bétail étranger entre par masses en Angleterre, sans que, sous la pression de cette concurrence, le prix de la viande ait subi une réduction vraiment appréciable. Le travail manufacturier aura le même sort, lorsqu’il verra s’accroître sa clientelle. Ces cliens ne sont guère aujourd’hui que dans les villes ; car, en dehors des nécessités alimentaires, les habitans des campagnes consomment fort peu. En vêtemens et en linge, le budget d’une famille agricole n’excède pas 100 francs par année. Rendons les paysans consommateurs, et nous aurons ouvert aux manufactures l’exploitation d’un monde nouveau.

Un autre préjugé de M. Louis Blanc consiste dans l’antagonisme qu’il suppose entre le capital et le travail. On concevrait encore que ce débat s’élevât en Angleterre, dans un pays où le capital abonde, où il a pénétré tous les pores de la production, où il cherche partout de l’emploi, et où il prêtera dans tous les cas son concours, de quelque façon qu’on le traite ; mais en France, où il est de récente formation, peu abondant, peu aventureux, attaquer ou effrayer le capital, c’est vouloir le faire disparaître. Le capital n’a pour lui, chez nous, ni la possession ni la force. Nous ignorons si ceux qui en sont détenteurs montrent dès à présent des tendances despotiques ; à coup sûr, ils n’ont eu le temps d’exercer aucune tyrannie. Parcourez nos cités industrielles, vous entendrez partout les fabricans déplorer l’absence ou la pénurie des capitaux, et chercher dans cette situation la raison de leur infériorité à l’égard de l’industrie étrangère. Jetez vos regards sur nos campagnes, dont l’aspect misérable fait un contraste très humiliant pour nous avec les champs cultivés de l’Angleterre, de la Belgique et même de l’Allemagne ; d’où vient cela, sinon de la pauvreté combinée du cultivateur et du propriétaire ? La terre produit peu quand l’homme ne l’arrose qu’avec la sueur de son front. Pour en développer toute la fécondité, il faut des machines, des soins intelligens et des engrais, toutes choses qui sont des capitaux sous diverses formes. De l’autre côté du détroit, une ferme est considérée comme une manufacture agricole, qui a pour instrumens un bétail considérable et une armée d’ouvriers, et dans laquelle le fonds de roulement représente souvent une valeur égale à celle du sol. Aussi la récolte du froment rend-elle 15 à 16 pour 100 de la semence, tandis que nos métayers, grattant la terre qu’ils n’ont pas engraissée, en retirent à peine, au jour d’une moisson étique, 7 à 8 pour 100.

Le moment n’est donc pas venu, si jamais il doit venir, de faire le