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fuyant le bravo, sa monture avait succombé à la fatigue quelques jours après notre arrivée à Mexico : je chargeai Cecilio de la remplacer. Quant à mon propre cheval, un de ceux que j’avais ramenés de l’hacienda de la Noria, ce noble animal justifiait parfaitement le nom de Storm[1] que je lui avais donné ; la vigueur qu’il avait puisée dans les déserts le mettait en état de supporter les plus rudes travaux.

Cecilio se mit aussitôt en devoir de faire son acquisition. Je lui avais recommandé d’y mettre toute l’économie désirable, et le drôle ne se conforma que trop scrupuleusement à mes instructions. Au bout de quelques heures, il vint m’annoncer qu’un picador de ses amis allait lui amener un cheval qui remplissait toutes les conditions requises. Bientôt en effet je vis entrer dans la cour, tête basse et à pas lents, un pauvre cheval au poil d’un jaune fauve, échappé sans nul doute, dans la dernière course, aux cornes des taureaux du cirque. Je me récriai fort quand le picador eut l’effronterie de me demander dix piastres pour cette bête efflanquée ; mais enfin j’étais pressé, et puis, à part le trajet qu’il me fallait faire pour rejoindre la conducta, je ne devais voyager qu’à petites journées. Le picador et Cecilio, voyant mon impatience, s’entendirent pour vanter à tour de rôle les qualités cachées du cheval dont l’aspect était si piteux, et je comptai au maquignon une somme que mon honnête valet partagea sans doute avec lui.

Tous ces préparatifs terminés, je fixai mon départ au lendemain matin ; mais une série d’événemens imprévus devait retarder de plusieurs jours l’accomplissement de mon projet. Le moment d’expédier à Vera-Cruz le riche convoi d’argent que je m’étais promis d’escorter paraissait avoir été mal choisi. Une sourde inquiétude pesait sur les esprits. Des symptômes alarmans annonçaient une tourmente politique. Ie lendemain même du jour où la conducta avait quitté Mexico, on en était à regretter qu’un convoi de deux millions fût exposé, en de pareilles conjonctures, aux hasards d’une longue route, et les circonstances, il faut bien le reconnaître, justifiaient assez ces craintes.

De retour d’un exil employé à parcourir l’Europe et à chercher dans de studieux loisirs l’oubli des malheurs de son pays, le général don Anastasio Bustamante occupait alors la présidence. Si le désintéressement et la probité, unis à un ardent patriotisme, suffisaient pour gouverner un grand état, Bustamante eût été l’homme qu’il fallait au Mexique. Comme presque tous les généraux qui se sont partagé le pouvoir dans la république mexicaine, c’est dans la guerre de l’indépendance qu’il avait fait ses premières armes. Ami et partisan dévoué de l’empereur Iturbide, il avait hautement blâmé l’ingratitude de Santa-Anna, qui avait commencé sa carrière militaire en se révoltant contre

  1. Mot anglais qui signifie ouragan, tempête.