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II

Tous ceux qui se sont occupés de l’organisation du travail ont eu pour but de remédier à deux maux qui leur paraissaient extrêmes, la mauvaise répartition des richesses sociales, les excès d’une concurrence sans frein et sans limites. Par la concurrence, le faible est écrasé par le fort ; par la mauvaise répartition des richesses, l’inique division des hommes en faibles et en forts est maintenue et perpétuée. À ces maux quels remèdes ont été proposés ? Sous des formes bien diverses, un seul. Puisqu’en laissant les travailleurs suivre chacun de son côté la voie qu’ils préfèrent à leurs risques et périls, puisqu’en abandonnant l’activité humaine à sa propre direction, et en tolérant l’accumulation de la richesse dans les mains qui savent la prendre, on est arrivé à l’inégalité funeste que nous signalons, il faut nécessairement réunir en un faisceau toutes les forces éparses, concentrer la vie en un centre commun, soumettre le travail à une loi uniforme, et attribuer la répartition de ses produits non plus à l’habileté individuelle, mais à la justice du pouvoir.

Association de tous les travailleurs sous la direction de l’état, voilà la nouvelle formule à laquelle aboutissent, comme à une conséquence nécessaire, les divers systèmes qui ont voulu jusqu’ici fixer d’une manière définitive l’organisation du travail.

Prêcher, par l’exemple de quelques établissemens privilégiés, les bienfaits de l’association sans en faire une loi uniforme et impérative, ne saurait suffire. Vous auriez la concurrence entre des corporations au lieu de l’avoir entre des individus, ce qui serait un mal semblable. Procéder d’urgence à une nouvelle répartition des richesses sociales, sans établir un pouvoir distributeur qui rendît l’accumulation impossible et enlevât aux passions humaines le triste privilège de s’égarer et de s’appauvrir, ce serait substituer une égalité d’une heure à l’inégalité actuelle et réserver à l’avenir les mêmes embarras. Soumission de tous à un même lien d’association, nécessité permanente d’un pouvoir distributeur, ce sont là les deux axiomes inséparables que l’on prétend établir, non plus en droit, mais en fait.

Si l’entreprise semblait seulement de réalisation difficile, même inexécutable, ce ne serait point, à vrai dire, un motif pour ne pas la tenter. Nous savons que ce que l’on n’osait espérer la veille s’est trouvé obtenu le lendemain. Nous n’aurions garde, en pareille matière, d’objecter les douleurs d’un semblable enfantement, les perturbations qu’une réforme aussi radicale introduirait dans notre état intérieur, et les souffrances individuelles qui en seraient le résultat. Nous sommes convaincu qu’elles seraient supportées sans murmure, si elles devaient