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manifestes démocratiques dirigeaient contre les pany, produisaient, en tombant au milieu de la foule, de terribles impressions. Il en était comme de ces projectiles incendiaires qu’on lance de très loin sans jamais pouvoir en calculer tout l’effet. La poésie s’empara bientôt de ce thème politique ; elle en a vécu, elle y a puisé ses plus brûlantes inspirations. C’est à la fois la grandeur, le charme et l’inconvénient des esprits orientaux, comme le sont à moitié les esprits polonais, que les idées s’y présentent et s’y fixent beaucoup plus sous leur face poétique que par leur côté positif. Ce fut donc surtout la poésie qui répandit les idées, qui exalta les instincts démocratiques : elle grossit naturellement tout ce qu’elle toucha ; elle parla des paroles qui étaient des poignards. Le combat des dépossédés contre les privilégiés, la haine « de la noblesse asiatique, » la déification permanente des classes opprimées, voilà le sombre fond sur lequel courent les vers de Goscynski, de Krasinski, de Pol et de tant d’autres. Les gentilshommes et les grandes dames ont rivalisé de verve enthousiaste pour immoler l’aristocratie aux pieds de paysans idéalisés. Les poètes n’ont plus eu qu’un seul moyen d’être populaires, ç’a été « d’avoir un cœur pour le peuple, » d’habiller toujours les propriétaires en démons et de faire des anges avec les filles de village. Il se trouve çà et là dans ces compositions patriotiques des cris de douleur ou de colère qui devaient avoir trop d’écho, des prédictions sinistres qui n’étaient que de trop justes pressentimens. Cette littérature pénétra jusqu’aux derniers échelons de la société. L’une de ses œuvres les plus répandues, c’est la complainte d’un paysan qui, du fond de sa hutte ébranlée, dépecée par l’orage, entend les maîtres du château danser aux gais accens de leur musique ; le morceau, d’une simplicité saisissante, finit par ces mots prophétiques : « Sonnez, musiciens, et vous, messeigneurs, dansez ; laissez seulement couler quelques années encore, et le paysan viendra danser avec vous ; la danse sera joyeuse ! » Ces vers étaient d’une femme, Julia Wojkowska. Les châtelaines de Gallicie devaient bientôt voir, et de trop près, cette danse des morts que l’on rêvait dans les chaumières. « Qui sait de quelles mains nous viendra la mort ? » disait Pol au commencement de la Chanson de notre pays, et Pol lui-même a cruellement regretté l’exaltation de sa muse, quand ses chers paysans, qu’elle avait à tout prix soulevés, ont inauguré leur délivrance en mettant à prix la tête du poète, en traquant sa femme dans les bois, en se baignant dans le sang de ses amis.

D’autre part, si la Centralisation démocratique a toujours fait bonne guerre aux tentatives communistes, ces tentatives n’ont cependant pas laissé d’exercer une influence encore assez profonde, et la poésie n’est pas restée non plus étrangère à ce redoutable égarement. Plus voisine de l’Orient, la race slave s’élève plus lentement que les autres familles