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L’Autriche catholique se trouvait en conformité de croyance avec les populations galliciennes, et, soit indolence, soit politique, elle ne montra jamais l’envie de toucher à leur nationalité. L’aristocratie, toute-puissante en Gallicie par son opulence, s’accommodait assez bien d’un régime qui, sans mettre son orgueil à de trop rudes épreuves, lui conservait les avantages personnels des grandes positions qu’elle occupe. Enfin, les jésuites de Lemberg étaient notoirement dévoués à l’Autriche, et contre-minaient, par leurs secrètes influences, le travail souterrain de la propagande démocratique. La propagande n’avait donc pour l’aider en Gallicie que les petits propriétaires, et cette noblesse de second ordre, depuis long-temps comprimée, soit par le gouvernement, soit par les pany, n’avait plus du tout de ressort politique, plus d’initiative qui lui fût propre. Les démocrates cependant ne désespérèrent pas, et peu à peu le comte François Wiesiolowski et le poète Vincent Pol gagnèrent à leur cause beaucoup de partisans presque tous éprouvés, parce qu’ils s’étaient déjà enrôlés dans les anciennes sociétés de la jeune Pologne, de la jeune Europe, ou de la jeune Sarmatie.

A Posen et dans la Gallicie, l’action de la propagande se manifestait ainsi plus ou moins au grand jour ; la simple prédication des idées qu’elle enseignait n’étant point particulièrement regardée comme un crime, il n’y avait pas de raison pour que les missionnaires fussent obligés de recourir au mystère des affiliations cachées. Les écrits du comité central de Versailles, tous les pamphlets démocratiques étaient publiquement mis en vente à Posen ; on ne les autorisait pas en Gallicie, mais on les laissait circuler sous le manteau, sans se donner la peine de les arrêter. Les livres arrivant aussi facilement, il n’y avait pas besoin d’expédier d’agens sur les lieux. Les émissaires de la Centralisation n’apparaissaient qu’à de rares intervalles dans les pays de la domination autrichienne ou prussienne, et seulement pour jeter en passant des mots d’ordre qu’il n’eût pas été sûr d’imprimer. Les émissaires étaient, au contraire, le livre vivant de la Pologne russe ; ils y séjournaient toujours en grand nombre et long-temps. Le blocus hermétique qui ferme ce malheureux pays, la difficulté des communications qui entrave à l’intérieur le parcours des idées, tous ces obstacles accumulés par le despotisme contre le commerce des esprits ont été hardiment combattus par l’activité sans relâche des émissaires. Ces braves champions furent les seuls médiateurs entre tant d’ames fraternelles retenues par des liens de fer dans l’isolement qui les hébétait.

Pour comprendre le mérite de leur tâche, il faudrait d’abord se figurer cette lourde oppression moscovite qui vient peser sur les plus petits détails de la vie, qui les réglemente, qui les guette, qui scrute jusqu’aux derniers replis des consciences. Dans la Pologne russe, avoir une pensée qui n’ait point, pour ainsi dire, endossé l’uniforme