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que l’existence de ce peuple remonte aux premières excursions en Europe de la race blanche ou caucasique. Les Celtes étaient établis depuis une longue durée de siècles, lorsque la conquête romaine passa sur eux. Du croisement des deux peuples résulta ce mélange qu’on désigne sous le nom de gallo-romain. Les choses en étaient là, lorsque le monde entier s’ébranla du nord au midi : nous voulons parler de ces grands mouvemens de peuples barbares qui jouèrent un rôle dans la chute de l’empire romain. Ces peuples habitaient des pays dont les nations civilisées ignoraient même l’existence. C’est alors qu’on vit se détacher des profondeurs de la Scythie de grandes caravanes armées, qui, enjambant les montagnes et les fleuves, coururent d’une extrémité de l’Europe à l’autre. Ce glaive voyageur renversa tout sur son passage. Les races barbares sont dans la main de la Providence des élémens de destruction, comme le tonnerre et la grêle dans les mains de la nature. Le Nord vomit à plusieurs reprises les aquilons de la colère divine. En 420, les Goths ; en 430, les Bourguignons ; en 500, les Franks ; en 510, les Armoricains ; en 912, les Normands, se précipitent successivement, et versent dans la population gallo-romaine les caractères particuliers de leur race. A chacun de ces dépôts, si l’on ose ainsi dire, le niveau de la civilisation s’élève. Chaque accession de race communique à la masse primitive des énergies nouvelles et les élémens d’une nationalité qui s’accroît.

Le travail de la civilisation efface, dit-on, ces variétés originelles, mais à quel degré les efface-t-il ? Peut-on encore remettre à nu, après une durée de plusieurs siècles, les élémens primitifs qui ont constitué, par la succession des faits, la nationalité française ? En d’autres termes, les caractères des races présentent-ils une constance et une durée telles que l’on puisse les reconnaître dans une population si ancienne et si mêlée ? — Avant de résoudre cette question, il faut examiner les causes qui contribuent à altérer les types et celles qui tendent au contraire à les maintenir.

De toutes les causes qui concourent à effacer dans une nation l’angle saillant des familles naturelles, la première et la plus active est, sans contredit, le croisement ; la seconde est le développement social. Tant que les peuples demeurent dans l’état sauvage ou barbare, leur constitution physique est immuable ; mais, quand ils sortent de cet état stationnaire pour former une nation, ils passent tout entiers, avec leurs facultés et leurs organes, sous la loi du progrès. Alors commence pour eux une évolution de caractères qui tend à masquer la nature de la souche. Ces mouvemens qui changent l’organisation d’une race ressemblent à ceux qui renouvellent d’âge en âge chez l’homme les conditions de la vie. De même qu’il est difficile de reconnaître sous la virilité les traits de l’enfance, on ne retrouve pas aisément la figure des