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dominent : les actes de la vie morale ou civile offrent alors un caractère surprenant de fixité. On ne retrouve plus cette persistance chez les nations adultes, parce que la civilisation, ayant réagi sur les instincts et les mouvemens de la nature inférieure, a dégagé dans l’homme les forces essentiellement libres de l’intelligence.

L’état barbare n’a point été jusqu’ici caractérisé. Il y a dans la nature humaine deux mouvemens en sens contraire, l’un qui concentre et qui replie l’individu sur lui-même, l’autre qui le porte vers la société. L’instinct égoïste et solitaire prédomine dans le premier âge des races. On n’a pas rencontré jusqu’ici, il est vrai, l’homme sauvage à l’état complet d’isolement, mais le lien qui l’unit à ses semblables est extrêmement faible. Les hommes primitifs vivent par bandes, comme certains animaux ; s’il y a parmi eux agrégation, il n’y a pas société. L’histoire nous les montre dispersés çà et là, et, quoique habitant la même terre, livrés à une affreuse solitude morale : c’est l’état d’idiotisme du genre humain. Entre l’âge que nous venons de décrire et celui où les hommes réunis en société fondent des établissemens solides, contractent des liens moraux, il existe un état intermédiaire où ces deux forces, l’une qui isole, l’autre qui associe, se font, en quelque sorte, équilibre. C’est alors que se produisent ces migrations de peuples, ces grandes invasions de barbares qui concourent autant à fonder qu’à renverser les empires. Attirées pour ainsi dire par deux forces qui se contrarient, les familles barbares, devenues des hordes errantes, oscillent ainsi quelque temps sans pouvoir se fixer. Tant que ces groupes voyageurs vivent sous la loi du mouvement, ils ne manifestent que les instincts de la nature. Il n’y a presque point de progrès intellectuel, ni de progrès moral. Les conditions qui fixent une de ces races errantes sur le sol ouvrent seules devant elle le champ des développemens et des formations nouvelles qui doivent accroître son existence. Toutefois rien ne se perd : l’instinct sauvage persiste à travers l’état de société ; il y forme ce sentiment des droits individuels qui est l’élément matériel de la liberté. La tendance contraire, en se développant, enfante l’unité : c’est elle qui convertit les races, les familles et les castes en un grand être idéal et impersonnel qui est l’état, la patrie, la nation.

On comprend maintenant toutes les difficultés que présente l’étude de la formation des peuples. Les écrivains qui ont essayé, dans ces derniers temps, de dévoiler les élémens primitifs de la nation française, ont trop négligé, à notre avis, cette connaissance physiologique des races, sans laquelle le livre des origines demeure éternellement fermé. En savant modeste et laborieux a mieux apprécié l’importance des questions qui se rattachent à la formation des nationalités. Les travaux trop peu connus de M. l’abbé Frère ont ouvert dans l’étude des races une direction féconde, et de ces deux grands phénomènes, la fusion