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maître incontesté de Naples et de la Sicile. Il avait donné la main de sa fille à l’héritier nominal de l’empire latin, Philippe de Courtenay, et il était prêt à diriger sur Constantinople une flotte nombreuse, quand il dut s’arrêter devant la seule volonté dont il pût subir l’autorité, celle du roi de France, de saint Louis. La pensée des croisades, dans ce qu’elle avait de plus naïvement religieux, animait toujours saint Louis, qui, au moment de repartir pour la Terre-Sainte, invita solennellement son frère à prendre la croix et à l’accompagner. Comment Charles d’Anjou eût-il pu désobéir au chef de sa race ? Seulement il obtint du roi de France que l’armée des croisés serait d’abord dirigée vers Tunis dont le soudan, tributaire de la Sicile, n’avait pas encore payé la redevance stipulée par les traités. M. de Saint-Priest montre qu’il ne faut pas juger aussi sévèrement qu’on le fit au XIIIe siècle les sentimens et les raisons qui déterminèrent le roi de Naples à presser son frère d’aborder à Tunis. D’ailleurs, saint Louis désirait ardemment convertir à la foi chrétienne le prince africain, et, sur de fallacieux avis, il en avait conçu trop facilement l’espoir. Ces illusions le conduisirent, plus encore que les instances de Charles d’Anjou, dans la baie de Tunis et au milieu des ruines de Carthage, où il mourut. Comment ne pas se rappeler ici les admirables pages par lesquelles M. de Châteaubriand a si éloquemment terminé son Itinéraire de Paris à Jérusalem ? « On n’a vu qu’une fois, dit M. de Châteaubriand, et l’on ne reverra jamais un pareil spectacle. La flotte du roi de Sicile se montrait à l’horizon ; la campagne et les collines étaient couvertes de l’armée des Maures. Au milieu des débris de Carthage, le camp des chrétiens offrait l’image de la plus affreuse douleur ; aucun bruit ne se faisait entendre ; les soldats moribonds sortaient des hôpitaux et se traînaient à travers les ruines pour s’approcher de leur roi expirant. Louis était entouré de sa famille en larmes, des princes consternés, des princesses défaillantes. Les députés de l’empereur de Constantinople se trouvaient présens à cette scène ; ils purent raconter à la Grèce la merveille d’un trépas que Socrate aurait admiré. » Il est certain, s’il est permis d’ajouter un mot à cette peinture, que la mort de saint Louis a plus répandu le nom français en Orient que n’eût pu le faire la victoire la plus éclatante. C’est qu’il y a dans l’héroïsme malheureux une vertu supérieure et secrète à laquelle tout le faste des prospérités les plus orgueilleuses ne saurait atteindre.

Charles d’Anjou, qui n’était arrivé en Afrique qu’au moment où saint Louis expirait, fut contraint de retourner en Sicile. Pour lui, c’était à recommencer, car il n’abandonna pas le projet d’aller à Constantinople. Pour la troisième fois, il se préparait à diriger du port de Brindes ses vaisseaux vers le Bosphore, quand une catastrophe aussi imprévue que terrible vint le frapper au cœur. Au moment où il s’apprêtait