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par la fortune, les papesse considérèrent toujours comme les souverains de Rome, même quand ils étaient obligés de la quitter, et la toute-puissance d’Innocent III fut comme la récompense, long-temps attendue, de la persévérance de ses prédécesseurs. M. de Saint-Priest ne peut nier le triomphe d’Innocent III sur la faction aristocratique ; il reconnaît que le pontife supprima le titre de consul, se fit jurer fidélité par le préfet, et qu’après avoir réduit le sénat à un seul représentant, il reçut le serment du sénateur qu’il avait choisi lui-même. Quel était ce serment ? Selon M. de Saint-Priest, qui en cite le texte, ce serment n’établissait pas encore la puissance temporelle du pape, il la préparait seulement dans l’avenir. M. de Saint-Priest ne veut pas que les expressions : Fidelis ero tibi, domino meo papœ, et celles-ci : Papatum romanum et regalia beati Petri, représentent l’idée de souveraineté. Ce serait trop ressembler aux docteurs du moyen-âge que de batailler sur du latin ; nous aimons mieux, pour contredire le spirituel écrivain qui s’efforce d’atténuer la puissance d’Innocent III, appeler à notre aide trois autorités dont à coup sûr il ne contestera pas la compétence. Frédéric Hurter n’hésite pas à affirmer qu’Iinnocent III rétablit dans Rome la plénitude de l’autorité pontificale ; lorsque le préfet prêta serment entre les mains du pape, celui-ci le revêtit d’un manteau, insigne de son investiture. Le manteau remplaçait le glaive que l’empereur avait coutume de remettre. Pour le sénateur, Hurter remarque qu’il n’exerça plus ses fonctions au nom du peuple, mais au nom du pape, qui le choisissait, et qu’ainsi disparut la dernière trace de l’indépendance des Romains, comme disparaissait dans la personne du préfet la dernière trace de la suzeraineté impériale. Daunou attache la même importance à la restauration que fit Innocent III de la souveraineté pontificale. Enfin Muratori dit expressément, en parlant de l’avènement de ce grand pape, qu’à ce moment l’autorité impériale à Rome rendit le dernier soupir. A qui donc restait la souveraineté, si ce n’est à la tiare ? En général, dès le début, M. de Saint-Priest ne nous paraît pas avoir apprécié d’une manière assez ferme et assez complète la nature même de la papauté, son caractère universel et sa puissance morale au moyen-âge. Il eût modifié quelques-unes de ses opinions historiques en approfondissant plus encore cet immense sujet.

A côté des idées générales et des grands pouvoirs qui luttaient ensemble, on rencontre au XIIIe siècle une variété infinie de physionomies et de situations originales. Tout s’efface aujourd’hui sous l’uniformité d’une vie commune, sous le niveau d’une même loi. Au moyen-âge, les caractères avaient un relief, les institutions et les choses une diversité qui offrent à la plume de l’historien les plus piquans contrastes. Quelle mâle et singulière figure que celle de ce Mainfroy, aimant avec la même énergie le plaisir et le pouvoir, audacieux et rusé,