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la Sicile. Le fils de Henri VI et de Constance sera ce fameux Frédéric II, dont le génie et la puissance exaspérèrent tellement la papauté, qu’elle fera de l’extermination de la maison de Souabe le principal but de ses efforts. Ici la lutte du sacerdoce et de l’empire atteignit les dernières limites de la haine et de la fureur. L’originalité de Frédéric II, ce grand sceptique du XIIIe siècle, a été vivement sentie et rendue par M. de Saint-Priest, qui l’a comparé à un autre Frédéric, à l’incrédule ami de Voltaire. M. de Saint-Priest remarque avec raison que devancer son siècle est à la fois une gloire et un malheur, et que, si la postérité en tient toujours compte, les contemporains ne le pardonnent jamais. Le morceau consacré à cet illustre adversaire de la papauté est vif, brillant, et termine le premier livre d’une manière heureuse.

Il y a toutefois dans cette introduction un point fondamental qui nous paraît soulever quelques objections. M. de Saint-Priest établit comme un fait incontestable que, pendant la grande période du moyen-âge, les papes n’étaient pas souverains dans Rome, qu’ils ne le devinrent qu’à la fin du XIVe siècle, à leur retour d’Avignon. Selon lui, la souveraineté résida jusqu’à cette époque dans le sénat et dans le peuple. Il faut s’entendre. Que Rome ait toujours eu le goût des formes républicaines, et qu’à la faveur de l’anarchie qu’entretenaient sans cesse les querelles des empereurs et des papes, les Romains, nobles et peuple, sénat et commune, aient souvent ressaisi le pouvoir, rien n’est moins contestable ; mais au milieu de toutes ces tentatives, en face de tous les faits que rappelle M. de Saint-Priest, il y eut du côté des papes toujours la pensée et souvent le triomphe d’une souveraineté complète. Dès qu’il fut bien avéré que l’empire grec ne pouvait plus ni garder, ni protéger l’Italie, l’évêque de Rome fut, par la force des choses, investi d’une puissance où se mêlaient les droits du prince et l’autorité du pontife. C’était là sa nouveauté, c’était là son ascendant. M. de Saint-Priest ne méconnaît pas qu’il y avait au XIIe siècle deux partis en présence, le parti formé à l’école de Grégoire VII, dévoué à la souveraineté temporelle de l’église, ennemi des traditions politiques de Rome païenne, et le parti aristocratique ou sénatorial, qui combattait la domination des papes et s’attachait à faire revivre la république. Seulement il ne nous dit pas lequel des deux partis avait raison, lequel avait les vues les plus hautes et servait le mieux les intérêts de l’Italie. C’était la papauté. Sans revenir ici sur des points que nous avons déjà traités dans ce recueil[1], nous trouvons plus d’élévation, et aussi plus de patriotisme italien, dans la politique et l’ambition des papes que dans les prétentions d’une aristocratie égoïste. Au surplus, si malmenés qu’ils fussent

  1. La Papauté au moyen-âge. — Revue des Deux Mondes, 1er mars et 1er avril 1839.