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Tel fut le point de départ des rapports réciproques de la puissance, temporelle et de la spirituelle. Il arriva qu’un pouvoir qui recevait de la munificence d’un autre des villes, des terres, une domination temporelle, parut supérieur à son bienfaiteur, parce qu’il s’identifiait avec la religion, parce qu’il était aux yeux des peuples l’image de la vérité. L’église et la papauté eurent l’insigne fortune de s’appuyer sur des idées et des doctrines qui, sous la double autorité du temps et de la foi, sans contradicteurs, prirent racine dans les ames. Qui avait un système politique à la fin du XIe siècle, si ce n’est le sacerdoce ? De la théorie que nous venons d’indiquer, de la théorie du pouvoir appartenant nécessairement aux possesseurs de la vérité, découlaient d’importans corollaires. Le pape, en qui se concentrait la plénitude du droit et de la puissance, régnait sur le spirituel et sur le temporel ; seul il pouvait déposer et absoudre non-seulement les évêques, mais les empereurs. Infaillible, il ne pouvait être jugé par personne et jugeait tout le monde ; il pouvait dégager les sujets du serment de fidélité envers les rois. Sans son ordre, pas de concile général ; sans son autorité, pas de livre canonique ; il était enfin toute la puissance et toute la vérité ainsi les peuples et les rois lui devaient une complète obéissance.

Pour imposer aux hommes un pareil dogmatisme, il faut, nous ne disons pas une conviction profonde, mais un fanatisme supérieur à tous les doutes, à toutes les hésitations. Ce n’est pas la fourberie politique qui, dans les grands jours du moyen-âge, inspire le Vatican, mais l’enthousiasme de la théocratie, enthousiasme utile au monde, car il a réveillé l’esprit humain, il l’a tiré de sa torpeur. On conviendra que jamais provocation ne fut plus vive et plus complète. Aux empereurs, aux rois, la papauté disait : Vous n’êtes que mes premiers sujets ; je règne sur vous, qui n’êtes que les fils de la conquête et de la barbarie, parce que je suis l’expression de la vérité divine. C’est au même titre que la papauté intimait à toutes les intelligences l’ordre de s’humilier devant elle, et de se plier en toute chose à une éternelle docilité. Ainsi, dans la sphère des intérêts comme dans celle des idées, l’église revendiquait tout pour elle avec une franchise altière.

Ne nous en plaignons pas. Cette impérieuse simplicité dans la manière de poser les questions n’a pas peu contribué à leur imprimer un caractère général et philosophique. Dans les sociétés antiques, les luttes des différens pouvoirs n’avaient presque toujours pour mobiles que les passions et les intérêts égoïstes de factions ennemies. Par un contraste qui est un progrès, nous voyons, dès les débuts de la société moderne, une théorie s’établir ; elle proclame au nom d’une révélation divine l’omnipotence ecclésiastique, c’est-à-dire qu’elle féconde tout ce qui fermentait dans la tête humaine. A une affirmation hautaine répond une négation hardie, Le combat s’engage. Contre la théocratie romaine