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borne à ne pas comprendre le français, mais il exècre le hollandais, témoin la récente levée de boucliers de l'aa belge contre l’aa des Pays-Bas, que d’imprudens bourgmestres de village avaient laissé se glisser dans quelques actes communaux. La Prusse serait plus mal venue encore à revendiquer le droit de fraternité pour son idiome, bien autrement hétérodoxe, aux yeux des Flamands, que le hollandais. Sous la guerre de voyelles que les Flandres ont vouée à la Hollande, on n’aurait pas de peine, sans doute, à retrouver la trace de griefs plus sérieux ; mais des griefs de même nature pèsent sur la Prusse, que repoussent, comme allemande, les souvenirs encore vivaces de l’insurrection de 1788, ce 1830 anticipé, et, comme protestante, les griefs religieux d’où cette dernière révolution est sortie. La Prusse a même pris un moment à tâche de raviver cette double hostilité. La nationalité belge n’a pas eu en Europe d’adversaire plus défiant jusqu’au jour où les nécessités politiques et commerciales nées du Zollverein ont dirigé l’ambition de cette puissance vers la possession pacifique du port d’Anvers.

Envisagé à ses deux aspects, comme expression de l’engouement de race et comme expédient de parti, le mouvement flamand résumait donc des tendances essentiellement antipathiques à la Prusse, et que le temps a plutôt fortifiées qu’affaiblies. L’intérêt commercial a en déjà en partie raison des répugnances soulevées en Flandre contre la Hollande et la France ; mais ce même intérêt a tout au contraire agrandi la distance qui séparait les Flamands des Prussiens. Les districts maritimes des Flandres ont à reprocher de plus qu’autrefois à la Prusse l’envahissement des ports belges, et les districts liniers, la double atteinte que leur ont portée depuis dix ans, d’une part, les obstacles mis par le cabinet de Berlin à l’agrandissement du débouché français, d’autre part, la concurrence graduelle dont sont venues les frapper, jusque sur le marché belge, les toiles à la main de Silésie[1]. Quelques chants, quelques toasts échangés, sur les lords du Rhin, entre un amphitryon généreux et des hôtes en gaieté, et dont la moindre kermesse de nos départemens frontières nous fournirait au besoin le pendant, sont un faible contrepoids à la gravité urgente, immédiate de ces faits. Le réveillon humanitaire de Cologne, qui a coûté de si profondes combinaisons à la Prusse, prouve tout au plus une chose : c’est que la Belgique boit volontiers de tous les vins. Aussi bien que l’esprit flamand, la pensée politique qui l’évoqua après 1830 a puisé dans des faits postérieurs

  1. On a vu plus haut au prix de quelle horrible misère la Silésie était parvenue à organiser cette concurrence. Les toiles à la main de Silésie, plus légères, mais de plus belle apparence et moins coûteuses que celles des Flandres, sont tellement goûtées en Belgique, que les marchands y sont souvent réduits, pour allécher l’acheteur, à donner, comme venant d’Allemagne, des toiles fabriquées dans le pays. Ce fait nous est révélé par les plaintes de la presse belge.