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aux yeux de quelques consommateurs. D’autres fabrications avaient déjà un personnel complet d’ouvriers, dont cette invasion anormale de bras réduit les moyens d’existence. Les comités auront beau graduer, éparpiller, combiner l’action des ateliers-écoles ; ce dilemme sera toujours au bout.

La Belgique n’a pas la main plus heureuse dans la recherche des moyens d’agrandir son débouché extérieur. Le projet qui semble réunir le plus d’adhésions dans le gouvernement et dans les chambres est celui d’une société d’exportation fondée, en partie par l’état, en partie par actions, et qui aurait pour mission d’explorer notamment les marchés d’outre-mer, d’en étudier les besoins, d’y réhabiliter ou d’y faire connaître les produits de l’ancienne industrie linière, et accidentellement ceux des autres industries ; d’y établir enfin des comptoirs et des agences dont elle garantirait la solvabilité aux producteurs nationaux. Les États-Unis, le Brésil, les républiques espagnoles, l’Égypte, la Chine et Java sont les principaux points de mire de ce projet, issu en droite ligne de l’illusion si long-temps caressée d’une marine transatlantique, et qui en a toute la vanité. Dans les conditions où la place son infériorité politique et navale, la Belgique n’a pas pu naturaliser, au-delà des mers, même ses toiles à la mécanique ; à plus forte raison, elle n’imposera pas aux centres de consommation dont il s’agit les produits de son tissage à la main, qui n’ont pas pour eux le ressort du bon marché.

Le tort de la Belgique, c’est d’aller chercher trop loin la double solution qu’elle poursuit.

Pour soustraire le travail à la main au danger d’une production excessive, il s’offre un moyen plus prompt et surtout plus sûr que des innovations industrielles dont les meilleures débutent par un apprentissage improductif pour aboutir à une simple transposition de termes dans le problème du paupérisme ; un moyen qui ne déplace rien, qui laisse à l’ancienne industrie linière tous ses bras, mais en limitant leur action, et qui, par un heureux enchaînement de nécessités, fait servir les forces ainsi économisées à procurer à cette même industrie deux élémens essentiels de bien-être : du pain à bon marché et du lin à bon marché. Ce moyen, c’est le défrichement de cent quatre-vingt mille hectares environ de bruyères ou de terrains vagues, susceptibles d’une culture immédiate, que possèdent en Belgique les communes et les particuliers.

La question de débouché est tout aussi simple. Il faut d’abord partir de ce fait, que les toiles à la main, v u leur cherté, ne s’adressent partout qu’à un petit nombre de consommateurs. Fût-il réalisable sur quelques points, le système d’exportations lointaines rêvé par la Belgique n’aboutirait à jeter sur chacun des nombreux marchés d’Amérique, d’Afrique et d’Asie que des quantités minimes de toiles, et les fractions de bénéfices produites par ces exportations ainsi éparpillées