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qui arme de préférence la frontière française, et qui expulse ou emprisonne de préférence les voyageurs français ! La Belgique espère-t-elle donc s’assurer nos égards à force de malveillance ? Faudrait-il voir plutôt dans cette étrange conduite une arrière-pensée d’alliance éventuelle avec l’Europe contre la France ? Avec l’Europe, c’est-à-dire avec la Prusse, qui rêve, nous l’avons déjà dit, le Bas-Escaut pour limite naturelle[1], avec la Hollande, qui attend des restitutions ! Le ministère belge se place ici, comme on voit, entre deux aberrations. Heureusement le hasard veille pour lui. Les nécessités issues de la situation des Flandres lui épargneront la double faute qu’il paraît méditer.

Je le répète, la question des Flandres reste intacte. L’abondance de la dernière récolte n’a pu apporter qu’un bien faible soulagement à la population linière de ces provinces. Qu’importe, en effet, le bon marché des subsistances à des ouvriers dont les salaires restent encore pour la plupart en deçà de ce bon marché ? La distance à franchir est moindre sans doute, mais l’abîme du paupérisme est toujours au milieu, et les mesures adoptées ou indiquées par le gouvernement belge ne le combleront pas.

Ces mesures, disons-le tout d’abord, dénotent nue pensée d’ensemble, un plan arrêté, qui trop souvent avaient fait défaut dans l’appréciation de la question linière. Jusqu’en 1845, catholiques et libéraux s’étaient tacitement concertés pour décréter de mort le travail à la main, considéré par les uns comme un centre naturel de recrutement pour la colonisation de Guatemala, par les autres comme un anachronisme industriel fatalement condamné à disparaître devant le progrès du travail mécanique. L’insuccès de la colonisation guatémalienne, et surtout la formidable urgence que deux années de famine viennent de donner à la question des Flandres ont singulièrement modifié les préventions dont il s’agit. A part quelques réserves de détail, catholiques et libéraux ont également compris qu’une industrie capable de fournir, à un moment donné, à l’émeute près du dixième de la population ne pouvait pas être traitée en excroissance parasite, et qu’on n’amputait pas ainsi huit cent mille bras sans que le corps social en tressaillît quelque peu. Ils ont compris, ce qu’il n’eût jamais fallu perdre de vue, que le travail à la main, bien que lésé par la concurrence mécanique, pouvait, dans certaines limites, lui résister ; que la spécialité de ses produits lui garantissait des débouchés inaliénables, et qu’il suffisait de réformer ses conditions d’existence pour lui rendre une position normale parmi les forces productrices du pays. Dans cette vue, le gouvernement a fait une nouvelle distribution d’outils et d’ustensiles destinés à perfectionner les métiers de tissage et à faciliter le numérotage

  1. Voyez la livraison du 1er décembre 1846.