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III

Ce n’est pas seulement la question politique belge que notre révolution aura eu la mission imprévue de trancher. Le problème industriel des Flandres lui devra probablement aussi une solution décisive, et cette solution, qui plus est, emprunte un caractère exceptionnel d’urgence aux préjugés de nationalité, aux défiances anti-françaises qui sembleraient devoir la retarder.

C’est un fait à noter que les répugnances manifestées en Belgique contre la France se trouvent précisément concentrées chez les Belges de race française, chez les Wallons. Faut-il voir là un nouvel exemple de ce bizarre et mystérieux instinct qui, à l’autre bout de nos frontières, a créé d’insurmontables antipathies entre les Catalans français et les Catalans espagnols, entre les Basques espagnols et les Basques français ? Non, car les souvenirs de l’empire, la génération qui résume cette communauté d’intérêts et de gloire, sont encore vivans en Belgique, et aucune rivalité territoriale ne s’est élevée dans l’intervalle entre les deux pays. Loin de là, le seul contact armé que nous ayons eu depuis avec la Belgique lui a valu son indépendance. Le vrai motif de l’antagonisme affiché à notre égard par la Belgique est plus explicable et plus vulgaire. Les Wallons, par la supériorité intellectuelle et politique que notre langue leur donnait sur leurs voisins les Flamands, se sont trouvés conduits à prendre le premier rôle dans la révolution de 1830, et ce rôle, ils l’ont gardé. La plupart des orateurs et des diplomates belges sont Wallons. Tous les ministres actuels, presque tous les ministres passés et futurs, sont également Wallons. Toutes les administrations enfin regorgent de Wallons, qui, à grade égal, sont mieux rétribués que nos employés. On comprend dès-lors le fanatisme des Wallons pour leur nationalité. Cette nationalité, ils l’aiment tout à la fois d’un amour de père et d’un amour de propriétaire. Si leurs défiances se tournent de préférence contre nous, c’est qu’ils sont les premiers à comprendre que les affinités matérielles et morales de la Belgique sont chez nous. De là les efforts des principaux hommes d’état de ce pays pour isoler commercialement les deux peuples. Mieux vaut être ministre belge que préfet français, et, dans la pensée de ces hommes, pensée exprimée plus d’une fois à la tribune, la solidarité commerciale de la Belgique et de la France dégénèrerait fatalement, au premier symptôme de guerre européenne, en solidarité politique, en unité territoriale. Le cas redouté est, d’après eux, survenu. La nouvelle république française, à les en croire, va recommencer le pèlerinage européen de son aînée, et les voilà déclamant et écrivant en faveur de leur neutralité que personne ne menace. Étrange neutralité, d’ailleurs,