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Il s’en fallait de beaucoup que la situation fût aussi nette du côté du sénat. M. Rogier n’a rien épargné pour rentrer en grace auprès de cette aristocratie pointilleuse. Il a d’abord écarté de son programme ministériel toute condition comminatoire de dissolution, alors que les nouveaux succès du libéralisme, l’abdication des catholiques et l’adhésion des ultra-conservateurs lui donnaient plus que jamais le droit de parler haut. Il a fait une avance non moins significative au sénat en se donnant pour collègue un membre de cette assemblée, M. Dehaussy, et en disposant au profit de deux autres, MM. de Macar et Dumon, des deux premiers emplois de gouverneur qui sont devenus vacans. Une partie des libéraux belges, par un inintelligent emprunt des préjugés de notre ancienne opposition à l’égard de la pairie, affectaient jusqu’ici de n’attribuer qu’un rôle passif et secondaire au sénat, bien qu’il dérive, aussi bien que la chambre des représentans, de l’élection. La haute chambre, à son tour, voyant son influence contestée, ne saisissait que plus avidement l’occasion d’en faire sentir le poids, et c’est là peut-être le véritable secret de son hostilité. Le triple choix dont il s’agit était une protestation implicite du chef de la coalition en faveur des légitimes susceptibilités de cette assemblée, une reconnaissance de son initiative et de sa part d’action sur la direction du pays. M. Rogier est allé plus avant encore dans la discussion de l’adresse. Loin de se prévaloir de certains aveux de tribune qui le proclamaient le produit naturel, légal, de la situation, M. Rogier a spontanément accordé au sénat le droit de faire cause à part et de former le noyau d’une sorte de torysme belge avec lequel il se déclarait prêt à compter. Peine inutile ! le sénat ne sortait pas de sa réserve boudeuse. M. Rogier n’avait pu lui arracher, par ces concessions accumulées, qu’une promesse de « bienveillance provisoire. » Où s’arrêterait cette bienveillance provisoire ? Ce n’était pas douteux : devant le programme même de la coalition, devant les réformes qui constituaient dans ce programme le lot du groupe ultra-libéral. Le moment de la discussion était venu ; ces projets étaient déjà soumis aux chambres, et l’on attendait le résultat de l’épreuve avec l’anxiété la plus vive. Les clubs s’indignaient de ce qu’une assemblée notoirement condamnée par le pays électoral, et qui ne devait un reste d’existence qu’à la générosité des libéraux, voulût en profiter pour diviser ceux-ci. On blâmait M. Rogier de n’avoir pas posé, dès le début, le cas de dissolution. On s’étudiait à trouver un motif plausible à sa condescendance gratuite et à la morgue si peu justifiée de la majorité sénatoriale ; le nom du roi sortait de toutes les bouches. En 1846, lors de la crise qui amena M. de Theux aux affaires, le roi, craignant de paraître s’immiscer dans la lutte des partis, avait repoussé ce cas de dissolution. Les mêmes résistances se produisaient-elles aujourd’hui ? Cette fois, ce n’était plus à de simples murmures