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être considéré comme une conquête récente pour la coalition. Son libéralisme, moins négatif que celui de M. d’Hoffschmidt, et qu’il a manifesté même en plus d’une occasion au sénat, où il relayait volontiers M. Dumon dans les devoirs d’une opposition à peu près réduite au monologue, restait cependant en dehors des tendances agressives et des concessions de principes qu’on a pu reprocher à la fraction militante des doctrinaires. L’attitude de la coalition victorieuse a complètement rassuré M. Dehaussy ; il n’a pas cru dévier de son passé gouvernemental en entrant dans un ministère où l’influence ultra-libérale, dont on avait redouté d’avance les prétentions, se résignait à n’être représentée que par M. Rogier, par le chef même de l’ancien juste-milieu. Il n’est pas jusqu’à M. Liedts, cette Célimène parlementaire dont les combinaisons les moins exclusives s’étaient vainement disputé la foi, qui n’ait consenti à donner une adhésion significative à M. Rogier, en acceptant de lui le titre de ministre d’état. Quant au personnel des ministres à portefeuille, il se complète par trois hommes nouveaux. Le département de la guerre a été confié au général Chazal, l’une des notabilités de l’indépendance belge, et qui a su, privilège plus rare chez nos voisins qu’on ne croit, se faire pardonner de tous les partis sa qualité de Français naturalisé. M. Veydt, administrateur intelligent et laborieux, mais dépourvu de toutes qualités oratoires, a été nommé aux finances, et M. Frère-Orban, simple avocat à Liége avant les dernières élections, aux travaux publics. Si MM. Frère-Orban, Veydt et Chazal n’ajoutent pas une grande force morale au cabinet, ils ne le compromettront pas non plus, et ils peuvent être utiles de deux façons : sans précédens officiels qui les lient, ils endosseront tous les reviremens de tactique, toutes les innovations de détail que les nécessités parlementaires feront éclore. Sans influence personnelle dans les chambres et pouvant être au besoin remplacés sans tiraillemens et sans secousses, ils gardent trois portefeuilles toujours prêts pour les ambitions plus sérieuses que M. Rogier jugerait prudent d’associer à sa responsabilité gouvernementale. Ils sont comme la soupape de sûreté de la coalition, la réserve de l’imprévu.

Les vues de conciliation qui ont présidé à la naissance du cabinet Rogier ont dirigé aussi les premiers actes de la coalition victorieuse dans la chambre des représentans. Loin de chercher à s’effacer mutuellement, loin même de se tenir à l’écart l’une de l’autre, les deux fractions les plus divergentes du libéralisme ont mis une sorte d’affectation à échanger leurs voix dans la nomination des membres du bureau. C’était manifester clairement que les dissentimens de détail mis en jeu par le programme de M. Rogier ne dégénéreraient pas entre elles, du moins pour le moment, en questions d’influence et de personnes. L’accord de la coalition était donc pleinement garanti de ce côté.