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nuances libérales avaient eu, on s’en souvient, des points de départ opposés. L’une prétendait combattre les catholiques en renforçant le pouvoir exécutif, l’autre voulait au contraire procéder par l’extension du pouvoir électif. M. Rogier avait accouplé tant bien que mal dans son programme ces prétentions rivales. S’il repoussait l’abaissement uniforme du cens au minimum de 20 florins, il admettait, par compensation, l’adjonction des capacités ; — s’il conservait au roi le droit de nommer les bourgmestres en dehors des conseils, il subordonnait l’exercice de ce droit au consentement préalable des députations permanentes ; — mais cette double transaction, déjà connue depuis six mois, avait soulevé des protestations contradictoires aux deux extrémités de la coalition. M. Dolez, par exemple, avait repoussé, au nom de l’ancien juste-milieu, l’adjonction des capacités comme excessive, tandis que M. Castiau la repoussait comme insuffisante. De part et d’autre, on s’était plaint d’être sacrifié. Sept ou huit voix pouvaient disparaître dans ce conflit, et c’était assez pour paralyser momentanément le parti libéral.

Dans le sénat, des complications plus graves encore pouvaient surgir. Protégé par la lenteur exceptionnelle de ses renouvellemens périodiques, le sénat n’avait que faiblement subi l’action électorale des libéraux, et la majorité de cette assemblée était d’autant plus à craindre, qu’associée à tout le mauvais vouloir des catholiques, elle ne l’était pas à leur discrédit. Ses précédens gouvernementaux d’onze années, le motif même de sa rupture avec les libéraux, motif puisé dans une horreur exagérée du radicalisme, lui assignent, en effet, une position distincte à côté du parti vaincu, dont le radicalisme, on ne saurait l’oublier, a été le véritable point de départ. Toute nouvelle lutte entre elle et la coalition pouvait donc produire un fâcheux déplacement de rôles. Jusque-là, même quand leurs coups atteignaient accidentellement le sénat, les libéraux n’avaient combattu, après tout, que le monopole ecclésiastique ; mais maintenant qu’un échec décisif avait mis celui-ci hors de cause, ils allaient se trouver par le fait en hostilité spéciale, immédiate, avec le principe aristocratique et la grande propriété, dont le sénat est considéré comme l’expression. Par une coïncidence non moins fâcheuse, c’est sur M. Rogier que la haute chambre avait concentré ses rancunes : elle ne lui pardonnait ni l’alliance qu’il avait contractée avec les ultra-libéraux, dénigreurs systématiques des prétentions nobiliaires, ni la menace de dissolution qu’il avait suspendue sur elle en 1841 et en 1846. Or, M. Rogier était et est encore la clé de voûte de la coalition. S’il cédait, la coalition était brisée ; les ultra-libéraux se séparaient de lui, et, avec lui, du libéralisme modéré. S’il résistait, c’est du côté des libéraux modérés que pouvait éclater la scission. Une dissolution, des élections nouvelles étaient inévitables dans ce cas. Les clubs, où domine l’influence ultra-libérale, allaient reprendre le premier