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dans les districts ruraux des Flandres, vivaient d’herbages et de racines déterrées sous la neige ; que d’autres couraient en masse à la curée des bestiaux morts sur les chemins ; que des malheureux, pour ne pas mourir d’inanition, étaient réduits à voler de la drèche, comme on vole ailleurs du pain, et que la mortalité, sur plusieurs points où elle n’atteignait naguère que les trois quarts du chiffre des naissances, était désormais de neuf décès pour quatre naissances. La révélation de l’insuffisance des ressources locales est venue faire un triste pendant à cette misère : il a fallu reconnaître que les bureaux de bienfaisance des localités où les besoins étaient le plus impérieux avaient engagé leurs revenus de plusieurs années ; que les communes étaient à bout d’expédiens ; que la charité privée, épuisée par des surtaxes qui portaient parfois jusqu’à 500 francs la part de contribution directe du petit fermier cultivant huit ou neuf hectares, avait dû suspendre ses aumônes ; que le prélèvement de la plupart de ces surtaxes serait même impossible pour 1847, et que la réduction ou la cessation brusque de secours déjà trop insuffisans allaient coïncider avec les chômages de travail et les besoins nouveaux amenés par l’hiver. Qu’a fait pourtant le ministère catholique en présence de cette situation qui lui apparaissait pour la première fois dans toute sa désolante nudité ? Il a reculé comme accablé devant l’immensité de sa tâche. Dix millions auraient à peine suffi pour procurer un faible soulagement aux classes indigentes jusqu’à l’ouverture ou à la reprise des travaux publics, et un emprunt était momentanément impossible en face de l’immense absorption de numéraire occasionnée par les achats de grains à l’étranger. Ces dix millions auraient donc dû être prélevés en bloc et par voie de surtaxes sur les revenus d’un seul exercice, et, qui pis est, sur la branche la moins productive de ces revenus, sur l’impôt direct, qui ne s’élève qu’à 30 millions, et qu’il eût fallu dès-lors augmenter d’un tiers. On ne pouvait pas, en effet, songer à pallier la crise des subsistances en augmentant les impôts indirects, c’est-à-dire en grevant le travail et la consommation. Trop faible pour s’aliéner l’appui que la propriété foncière lui conservait encore par le sénat, trop intelligent peut-être aussi pour attacher à sa politique, déjà si discréditée, le précédent d’une taxe des pauvres, le ministère a fermé les yeux devant l’impossible. D’insignifiantes allocations, équivalant ensemble au pain de trois ou quatre jours pour des malheureux dont quelques-uns devaient, trois mois encore, manquer de tout, voilà à quoi ont abouti ses bruyantes démonstrations d’intérêt. En faisant sonder au pays l’abîme sans fond du paupérisme, il n’a réussi qu’à donner la mesure de sa propre impuissance, et, dans le langage des masses, l’impuissance chez le gouvernement est toujours synonyme de mauvais vouloir. Par cette sorte de fatalité qui s’attachait à ses, derniers actes, M. de Theux, en cherchant à détruire