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accord sur une situation où tous les rôles étaient déjà distribués. Son premier devoir, c’est l’inertie. L’apathie obstinée de Léopold au milieu des transformations les plus violentes de l’esprit public, sa déférence presque automatique au fait superficiel et présent des majorités officielles, abstraction faite du mouvement constaté d’opinions qui, depuis quatre ans, changeait ces majorités en anachronismes, n’étaient après tout que l’expression un peu exagérée d’une nécessité franchement comprise. On s’explique dès-lors comment le contre-coup des événemens de Paris n’a pu l’ébranler. Les tendances radicales que notre révolution a mises en jeu autour de lui n’auraient pas d’intérêt sérieux à le renverser, car il ne leur fait pas obstacle. Bien plus, la chute de la famille d’Orléans a consolidé Léopold dans son inoffensive sinécure. En apprenant cette étrange péripétie, il a renouvelé, dans des termes Plus formels que jamais, l’offre assez fréquente de son abdication, et la Belgique, qui, il y a un mois à peine, l’eût peut-être pris au mot, l’a cette fois prié de rester. Ce trône inutile et oublié était devenu, d’un jour à l’autre, le palladium de l’indépendance nationale. À l’heure qu’il est, il n’y a guère en Belgique qu’un homme sincèrement las de la royauté : c’est le roi.

Léopold jouira-t-il long-temps du bénéfice de cette réaction ? Peu importe. Nés avant lui, luttant en dehors de lui, les partis belges pourraient au besoin co-exister sans lui dans toute leur intégrité. C’est donc en elle-même, dans son jeu intérieur et dans ses répugnances extérieures, et non pas en quelques analogies superficielles, que la Belgique doit être étudiée. Jamais cette étude n’eut plus d’à-propos. Nous pouvons être forcés de recommencer demain la gloire de 1792, n’en recommençons pas les fautes. Sachons distinguer, au-delà de nos frontières, les sympathies et les conformités de besoins qui admettent notre ascendant moral et notre alliance industrielle des susceptibilités qui repoussent notre suprématie politique. La Belgique est à moitié française et républicaine ; mais elle peut vouloir rester telle en dehors de nous, Est-ce son intérêt ? C’est à coup sûr son droit.

Trois ordres de faits appellent l’attention dans la nouvelle situation de la Belgique. Nous examinerons successivement quelles influences sont tombées devant le dernier mouvement électoral, quelles influences les remplacent, et quel rôle est dévolu à celles-ci en face des nécessités issues de notre récente transformation politique.


I

Le dernier mouvement électoral de la Belgique a, je l’ai dit, toute la portée d’une révolution. C’est le dénoûment de la lutte séculaire de l’indépendance civile contre le monopole religieux, lutte faussée