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Arrivé au terme de son intéressant travail, c’est-à-dire à la mort du poète, après, avoir parcouru le vaste champ historique ouvert devant lui et fouillé tout un siècle pour mieux faire comprendre les orageuses complications de la vie du grand rival d’Homère, pour mieux initier le lecteur au mouvement de ses passions, de ses ardeurs, de ses pensées fougueuses, l’auteur du nouveau commentaire aborde une question non moins élevée et non moins digne d’attention que toutes celles qu’il a débattues dans le cours de son livre : il se demande quelle a été jusqu’à nous l’influence de Dante ; le dernier chapitre de l’ouvrage est consacré à retracer les, vicissitudes de sa gloire. Rechercher l’influence de la Divine Comédie sur les esprits, sur la littérature tout entière, sur la poésie, sur les arts, non seulement en Italie, mais en Europe, ce serait une des études les plus curieuses et les plus neuves, j’imagine, malgré tout ce qui a été fait jusqu’ici sur Dante. Il ne faudrait d’ailleurs rien moins qu’un livre spécial pour traiter convenablement ce sujet, et de plus, chez l’écrivain qui s’attacherait à une telle œuvre, un esprit très supérieur, doué à un éminent degré de ces qualités si rarement unies : le sentiment poétique et le goût de l’érudition. À vrai dire, c’est peut-être sous ce rapport que l’ouvrage de M. Balbo devra paraître quelque peu incomplet. L’auteur, écrivant surtout dans un but historique, a nécessairement donné moins de développement à ce côté de la question où l’art moderne sous toutes ses faces est intéressé. Ce n’est point que M. Balbo n’ait pas aperçu ce qu’il y aurait de fécond dans cette manière d’envisager la gloire de Dante ; ce n’est pas qu’il néglige d’indiquer, par exemple, ce qu’il y a eu d’inspirateur dans l’œuvre du poète florentin pour les maîtres de la peinture italienne et, parmi ceux-ci, pour le plus grand, Michel-Ange Buonarroti, qui avait fait pour chacun des chants de la Comédie des dessins malheureusement perdus ; mais dans les pages de M. Balbo on distingue le germe de tout ce qu’il y aurait à dire plutôt qu’on ne le trouve réellement et complètement exprimé, et, à ce point de vue, selon nous, le nouveau commentaire ne rend point inutiles ceux qui pourraient venir encore. Nous ne faisons au reste, en ceci, que partager l’avis de l’écrivain piémontais lui-même ; résumer le caractère et les beautés de la Divine Comédie, telle n’a point été la pensée de M. Balbo. Suivre la trace de l’inspiration de Dante dans toutes les routes où l’art italien s’est engagé après lui, quelques pages, certes, n’y eussent point suffi. Le nouveau commentateur s’est contenté, dans le chapitre qui clôt son ouvrage, de développer une observation que nous reproduisons parce qu’elle est la plus incontestable preuve de la grandeur de Dante et qu’elle est en même temps une lumière pour l’Italie. M. Balbo fait justement remarquer que les vicissitudes de la gloire de Dante coïncident avec les vicissitudes de l’Italie elle-même. Tant que le pays conserve dans son sein quelque chose de cette vitalité énergique que lui légua le moyen-âge, la gloire du poète se maintient et s’accroît ; quand le pays penche vers la décadence, le renom de l’écrivain s’efface pour reparaître plus brillant lorsque la patrie italienne commencera à se relever. Voyez, en effet, Dante mourant dans la première moitié du XIVe siècle ! Sa popularité est immense, si bien qu’arrivé à cette date, Villani interrompt ses annales pour raconter sa mort. Des chaires sont instituées sur tous les points pour expliquer la Comédie, on la lit et on la commente à Milan, à Pise, à Plaisance, à Venise aussi bien qu’à Florence. Parmi tous ces hommes qui acceptaient ou se donnaient la mission d’expliquer la grande œuvre épique, il ne faut point oublier l’ingénieux et char-