Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/934

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quant à l’à-propos, il ne fut jamais plus grand, sans doute, que dans les circonstances présentes, où l’étude du passé peut offrir pour l’Italie de si lumineux enseignemens. Dante est le bienvenu dans les luttes nouvelles, et on peut le saluer de ses propres vers : « Honorez le grand poète, son ombre revient… — Onorate l’allissimo poeta !… »

Le livre auquel M. Balbo a donné le titre modeste de Vie de Dante n’est pas, comme on pourrait le penser, une simple biographie. Il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner les sujets des diverses parties de ce travail. C’est un essai historique fait la Divine Comédie à la main ; c’est un tableau tracé avec suite et talent, un ensemble de vues sur les communes italiennes, sur les luttes des papes et des empereurs, sur les guerres civiles de Florence, sur le mouvement des partis, sur tous ces personnages contemporains que le poète a placés dans sa comédie et qu’il a immortalisés de sa louange ou flétris de sa colère. On voit tout ce que ces élémens peuvent avoir de fécond. L’auteur nouveau avait à sa disposition les agitations puissantes de la fin du XIIIe siècle et du commencement du XIVe, et, au sein de cette période troublée, la vie inquiète et orageuse elle-même de l’homme étonnant qui rassembla en lui le génie, les vertus, les défauts, les vicissitudes de sa patrie, qui fut tout à la fois homme d’action et grand poète, traversa tous les partis, fut mêlé aux plus hautes négociations diplomatiques, et, au bout de tout cela, ne gagna que l’exil, la misère, l’adversité, d’où il tira une nouvelle gloire et de nouvelles forces ; homme accessible à la haine la plus implacable et à l’amour le plus pur, le plus enthousiaste, et qui fut, en un mot, ainsi que le dit justement M. Balbo, « l’Italien le plus Italien qui ait jamais existé ! » Ce qui nous plait, nous l’avouons, dans le livre de l’écrivain piémontais, c’est le besoin d’exactitude qui s’y montre, c’est la tendance à chercher la réalité là où d’autres créent des mythes et des symboles. Les allégories sont en assez grand nombre dans la Divine Comédie, sans qu’on y ajoute celles que l’imagination moderne voudrait y voir. C’est en comparant les nombreux commentaires qu’il pouvait avoir sous les yeux avec le texte du poème lui-même, que M. Balbo a recomposé le caractère de Dante. Dans une telle confusion, il a cherché à ressaisir l’homme, l’homme selon le mot de Térence, c’est-à-dire avec ses grandeurs et aussi ses faiblesses, ses défaillances, en un mot avec toute cette portion de défectuosité humaine qui rend si dramatiques les combats dont l’ame est le théâtre. Qu’y a-t-il, par exemple, de plus poétiquement réel, de plus senti, dirons-nous, que ce passage du Purgatoire où Béatrix, non point certes la théologie, la philosophie ou tout autre être allégorique, mais bien la femme autrefois vivante, aimée et regrettée, adresse de tendres reproches à Dante pour quelque oubli passager, pour avoir un instant failli peut-être à l’antique amour, tandis que le poète rougit et fond en larmes ? C’est là un côté tout intime que le nouveau biographe fait de temps en temps reparaître, pour reprendre ensuite le cours de ses investigations historiques, où il serait trop long de le suivre.

Au milieu des accidens, des traverses, des orages continuels, des proscriptions, successives qui poussent Dante sur tous les rivages et font une telle diversion dans sa vie, il y a cependant une circonstance qui a un intérêt plus particulier et plus direct pour nous, pour notre pays, où certes il ne grandissait alors au-