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idées que peut provoquer et susciter une époque comme la nôtre ? Il appartient aux talens éprouvés, loin de déserter l’arène, de donner le salutaire exemple d’une persévérance sérieuse. Ce ne sera pas trop du concours de tous les esprits d’élite pour maintenir avec fermeté le drapeau de la pensée. Cette conviction animera, nous n’en doutons pas, tous ceux qui ne désespèrent pas de l’avenir : elle nous soutiendra dans nos efforts. Rien n’honore plus un peuple, rien n’étend mieux son autorité morale sur les autres nations que le culte des lettres servant d’expression et de parure à la liberté politique.




Il y a dans les lettres, dans ce monde si varié de l’intelligence, certaines figures illustres qui ne cessent d’attirer les regards, de s’imposer à la contemplation des hommes, d’être un objet de curiosité et d’attention constante pour les esprits studieux. Le temps n’ôte rien à leur caractéristique grandeur ; bien au contraire, il l’accroît, ou du moins il la dégage, en quelque sorte, chaque jour de mieux en mieux. Il y a ainsi, dans l’histoire littéraire, trois ou quatre hommes dont la gloire survit à toutes les révolutions du goût, dont le génie domine naturellement du fond du passé les époques postérieures. Tel est Homère dans l’antiquité, tel est Dante au moyen-âge italien. Il n’est pas de poètes qui aient été plus curieusement étudiés, plus fréquemment expliqués, plus commentés que l’auteur de l’Odyssée et l’auteur de la Divine Comédie. Les moindres détails nouveaux sur ces grands représentans de la pensée humaine seraient payés au poids de l’or ; faute de ces merveilleuses découvertes, du moins, on s’attache à combiner d’une manière nouvelle les élémens connus qu’on possède sur eux ; et comme leur poésie touche à tous les événemens publics de l’époque où ils ont vécu, à toutes les passions contemporaines, à tous les sentimens qui se sont produits autour d’eux, il se trouve qu’on est conduit par ces guides harmonieux à l’examen des problèmes historiques les plus sérieux et les plus élevés. Il y a toutefois un inconvénient dans ce concours d’efforts tentés de toutes parts pour expliquer la destinée et les œuvres de poètes tels qu’Homère et Dante. Souvent une admiration trop crédule entraîne à débiter bien des fables ; le désir de paraître neuf pousse à hasarder bien des paradoxes. Ni Homère ni Dante n’ont échappé à des hypothèses fort singulières, quoique parfois ingénieuses ; si bien qu’il n’est pas parfaitement sûr que les travaux de plus d’un commentateur n’eussent à leur tour besoin d’être commentés, et qu’il n’y ait lieu de rétablir certains points principaux, certaines données réelles, certains aperçus incontestables, trop obscurcis par l’esprit de système. C’est ce qu’a essayé M. le comte Balbo pour Dante, dans un ouvrage paru, il y a quelque temps, en Italie, et récemment traduit avec élégance par Mme la comtesse de Lalaing[1]. Nul n’était plus propre à accomplir ce travail dans des conditions sérieuses et exactes que l’habile écrivain piémontais, le digne auteur de ce livre d’une inspiration si honnête et si patriotique sur les Espérances de l’Italie.

  1. Vie de Dante, par M, le comte Balbo ; 2 vol in-18.