Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/931

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vraiment efficaces. Une pareille négligence n’est pas une des moindres causes de ces chutes profondes qui, au premier abord, confondent les imaginations. Assurément, il n’est pas à craindre que le régime qui sortira de la révolution de 1848 tombe dans la même faute ; mais il faut qu’à l’ardent amour de l’humanité et du peuple qui fait battre aujourd’hui tant de cœurs s’associe une science sociale compréhensive et impartiale, qui aille au fond de tous les problèmes, tienne compte de tous les droits, et sache établir entre toutes les classes de travailleurs des relations légitimes et de sincères sympathies.

Si l’Europe, après avoir reçu la commotion électrique que nous lui envoyons, a le spectacle de notre union et la conviction de nos intentions bienveillantes à son égard, nous serons déjà par cela seul puissans et respectés. Le génie de la révolution française est un esprit de paix et de solidarité entre les peuples ; il ne s’est montré si guerrier, il y a soixante ans, que provoqué par les rois de l’Europe. Aujourd’hui la France peut tenir plus hautement encore un langage pacifique, parce qu’il est évident qu’elle a bien moins à redouter les conséquences d’une guerre qu’en 1789. À cette époque, par des raisons diverses et à des degrés différens, les peuples faisaient cause commune avec leurs gouvernemens contre nous : aujourd’hui ils ont nos principes et nos idées ; ils sont occupés à parcourir successivement les mêmes phases que nous avons traversées depuis soixante ans, et ils tendent au même but. Entre eux et nous, il y a donc une solidarité étroite, et si la guerre venait à éclater, elle aurait pour cause, non pas une manie de conquêtes, mais le désir de leur prêter assistance. Si l’Italie, si la Belgique étaient menacées dans leur indépendance, dans l’exercice de la volonté nationale, nous aurions à les défendre. Ne serait-ce pas d’ailleurs nous défendre nous-mêmes ? Il n’y a pas contradiction à vouloir la paix et à fortifier en même temps notre puissance militaire. Il est bien de créer à côté de notre armée réorganisée une garde nationale mobile. L’Europe ne saurait se méprendre ni sur nos sentimens, ni sur notre attitude. C’est ce que paraîtrait indiquer une première résolution du corps diplomatique. Bientôt, au reste, un manifeste du gouvernement provisoire ne laissera aux puissances aucun doute sur la véritable pensée de la France.

Mais nous n’en sommes déjà plus réduits aux conjectures sur les dispositions de deux grands pays à notre égard, les États-Unis et l’Angleterre. Le représentant des États-Unis, M. Richard Rush, s’est rendu à l’Hôtel-de-Ville pour adresser ses félicitations au gouvernement provisoire. « Je suis bien assuré, a dit le ministre américain, qu’un cri universel et puissant s’élèvera dans mon pays pour souhaiter à la France prospérité, bonheur et gloire, sous l’empire des institutions qu’elle inaugure, sauf la ratification de la volonté nationale. » Ces sympathies de l’Amérique pour la France ne sont pas nouvelles. Dans son allocution au gouvernement provisoire, M. Richard Rush rappelait le vœu de Washington pour l’alliance des deux peuples. Jefferson a consigné dans ses mémoires l’expression de son admiration affectueuse pour la nation française ; il célèbre la bienveillance, la générosité de son caractère, sa supériorité dans les sciences, et toutes les qualités qui à ses yeux lui assurent un avenir prospère et glorieux. On voit que M. le ministre des États-Unis a pu, comme il l’a dit, reconnaître le nouveau gouvernement de la France, sans attendre des instructions, ou plutôt