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This look of thine will hurl my soul front heaven
And fiends will snatch at it.

On le voit, Dickens ne se pique guère de variété dans ses inventions, et ce ne serait point chose difficile que de trouver dans chacun de ses romans des personnages à tous égards analogues à ceux que l’on connaît déjà ; mais, parce que la reproduction d’un même type revient à tout instant, cela n’empêche pas que le type ne soit essentiellement original en soi. Ainsi, dans ce roman de Barnaby Rudge par exemple, si l’on excepte le personnage de Rudge le père, qui ressemble à celui de Bill Sikes, tout est original. Si nous voulions chercher un modèle à Barnaby lui-même, nous ne le découvririons peut-être que dans Madge Wildfire, la folle de la Prison d’Édimbourg. Et sir John Chester ? C’est, à coup sûr, là une des plus remarquables créations de notre temps, remarquable surtout par le milieu dans lequel Dickens l’a placée. Mettre en scène un gentleman qui a plus fait qu’il ne faudrait pour se voir pendre à Tyburn ; un malfaiteur de la plus noire espèce, cachant ses crimes sous les dehors d’une élégance exquise, et accablé sous les douces flatteries de la bonne société ; un dandy qui, de peur de se compromettre, refuse de sauver son propre fils (fils naturel, il est vrai) de l’échafaud, et qui, en refusant, prend son chocolat mignonnement ; faire admirer en Angleterre un pareil tableau, c’est nous reporter au temps où lord Chesterfield donnait à Philippe Stanhope certains conseils que nous savons, et où Hogarth peignait le Mariage à la mode[1]. C’est là, si nous ne nous trompons, le seul essai tenté par Dickens de reproduire les manières de la haute société anglaise, et encore l’action se passe-t-elle dans un temps éloigné du nôtre, et dans des situations, il faut le dire, exceptionnelles ; car nous ne supposons pas qu’il y ait dans le monde beaucoup de sir John Chester, quoi qu’ait dit sir Bulwer Lytton, dans Lucretia, sur la fréquence des crimes au sein des hautes sphères sociales. Toutefois la tentative a réussi, à merveille, et l’auteur de Pickwick a montré qu’il saurait aussi bien faire tenir à ses personnages la langue des salons que celle des carrefours, à condition pourtant qu’un certain degré d’excentricité dans les incidens vînt relever la monotonie du ton comme il faut. Pour maintenir ce ton en décrivant des événemens ordinaires, le talent ne suffit pas, il faut encore l’habitude de la langue qu’on veut parler.

Si Dickens peint avec une puissance rare ces natures brutales qui n’ont de cadre convenable que la cour d’assises, il montre une habileté non moins grande à représenter ce qui est appauvri, opprimé,

  1. Série de tableaux où Hogartb représente des scènes auxquelles on oserait à peine faire allusion aujourd’hui.