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sociale. M. Dombey est impitoyable pour tout ce qui l’entoure ; dans l’excès même de cet égoïsme naïf et convaincu, il se trouve cependant quelque chose qui l’excuse. Il croit si bien en lui, il est si intimement persuadé que la plus heureuse destinée serait de le servir, lui, et de vivre et de mourir à la peine, que franchement on ne peut guère lui savoir mauvais gré de vouloir imposer l’obligation de ce dévouement absolu à tout ce qui l’approche. Dès les premières pages du livre, Mme Dombey meurt pour avoir donné le jour à un fils. « Après cela, dit la sœur de M. Dombey, je puis tout pardonner à Fanny ! » Or, remarquez que le seul tort de Fanny, créature angélique s’il en fut, est d’avoir mis au monde une fille quelque six ans auparavant. « Une fille ! s’écrie l’auteur ; mais qu’était-ce donc, bon Dieu, qu’une fille pour Dombey-and-son ? une espèce de monnaie n’ayant cours, un garçon de bas aloi, rien de plus ! » Aussi là-dessus se base le roman. Mme Dombey se laisse mourir faute d’énergie, à ce que disent les assistans. « Elle n’a pas voulu prendre sur elle, dit sa belle-soeur mistress Chick ; il fallait se décider à vivre ; mais, que voulez-vous ? elle n’est pas une Dombey ! » She should have made an effort ! Ce mot, par lequel tout se résume, est plus anglais que tout le reste. Il existe en Angleterre une race de femmes qu’on découvrirait, je crois, difficilement ailleurs ; véritables viragos, chez lesquelles la force physique supplée à tout, et qui n’ont que paroles de réprobation et de mépris pour les organisations délicates et frêles. Dickens réussit à merveille dans la peinture de ces mégères, et mistress Chick n’est certes pas la seule qui, de sa voix antipathique, dirait à une mourante : Prenez donc sur vous !

Mme Dombey morte, il reste à son mari deux enfans, dont l’aînée, nous le savons, ne compte pas. M. Dombey ne s’aperçoit de l’existence de sa fille que parce que son héritier, l’espoir de sa maison, ce fils tant désiré, ne peut être heureux loin de sa soeur. Tant que vit son frère, Florence est nécessaire, et, si on ne la considère guère, on la tolère du moins ; mais, du jour où s’éteindra ce rayon d’espérance, sa fille ne représentera aux yeux de M. Dombey qu’un triste et importun souvenir. Dickens est fort heureux dans ses portraits d’enfans, charmans pastels dont toutefois on se fatigue à la longue, comme de tout ce qui se répète et se reproduit à l’infini. L’absence de variété et de véritable imagination est telle chez l’auteur de Pickwick que non-seulement les mêmes personnages reviennent partout et toujours, mais que les mêmes ressorts les font mouvoir, et qu’ils courent tous les mêmes aventures. Pickwick et ses compagnons, Nicholas Nickleby, le grand-père dans Master Hunaphreys’ Clock, M. Dombey lui-même, Martin Chuzzlewit, M. Pecksniff, tous partent d’un point donné pour chercher les incidens sur la grande route ; jamais l’action ne se noue et ne se dénoue sur place ; d’ordinaire elle finit par tomber au beau milieu d’une troupe de