Or, le saint doit trembler, et Dieu n’a pas voulu
Dès ce monde annoncer la victoire à l’élu.
Dieu commande l’espoir ; mais il maintient l’obstacle
Et craint l’oisiveté qui peut suivre un miracle.
Jésus repartit donc : « Il est encore écrit :
Tu ne tenteras point ton Dieu. »
Le noir esprit
L’emporta de nouveau sur un mont solitaire
Et, d’en haut, lui montra les choses de la terre,
Les royaumes du monde et toutes leurs splendeurs,
Tout ce que l’homme enfin poursuit de ses ardeurs.
Et Satan lui disait : « Vaut-il mieux, examine,
« Être celui qui sert ou celui qui domine ?
« Vois ce qu’on fait, là-bas, de tout lâche rêveur
« Qui se dévoue au nom de saint et de sauveur.
« Choisis, ou de régner, ou de souffrir chez l’homme.
« Promène tes regards de Babylone à Rome ;
« Vois dans la pourpre et l’or et dans les voluptés
« Trôner sur les mortels les princes des cités ;
« Les peuples à genoux adorent leurs fantômes ;
« Les tours de leurs maisons des dieux cachent les dômes ;
« Leurs gloires sont à moi ; trônes, trésors, palais,
« Je les donne à tous ceux en qui je me complais.
« Je te les donne à toi, pouvoir, titres sonores,
« Si, t’étant prosterné devant moi, tu m’adores. »
Paisible et patient, comme il convient aux forts,
Jésus au tentateur répondait jusqu’alors ;
Mais à voir le démon revendiquer un culte,
Plein du zèle de Dieu vers qui monte l’insulte
« Retire-toi, Satan, dit-il, retire-toi !
« N’adorer, ne servir que Dieu, telle est la loi ! »
Or, Satan le quitta sans l’avoir pu connaître.
« D’où vient, se disait-il, cet humble et puissant être ?
« De la terre ou du ciel ? Homme, il serait tenté ;
« Ange, il eût devant moi montré plus de fierté. »
Car Satan lit au fond des ames qu’il abuse ;
C’est à juger les cœurs qu’il met d’abord sa ruse ;
Habile à préparer à chacun son écueil,
Dans l’homme il comprend tout… hors l’absence d’orgueil.
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