Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/898

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il osa de Jésus affronter le regard ?
Il vient par le désert qu’il a rendu complice,
Il roule sur le roc ou sur les fleurs il glisse ;
Il arrive sans bruit et de chaque horizon,
Et forme autour du cœur une étroite prison.
Mais Jésus s’est muni du jeûne et du silence,
Et l’esprit garde en lui toute sa vigilance.
Il avait vu de loin poindre cet ennemi
Qui nous cherche dans l’ombre et prend l’homme endormi ;
Et, pour la lutte armé d’une ardente prière,
Il veillait et pleurait, à genoux sur la pierre.

« Mon père, disait-il, ma force est toute en vous ;
« Vous seul accomplissez l’œuvre que je résous ;
« Malgré ce nom de fils, dont votre amour me nomme,
« Je suis faible et craintif du jour où je suis homme,
« Et si votre vertu m’abandonne aujourd’hui,
« En moi le sang d’Adam faillira comme en lui ;
« Car tout nous vient de vous, de votre sein auguste,
« La lumière de l’astre et la candeur du juste ;
« Et tout s’éclipserait, l’ame et le firmament,
« Si le flot créateur tarissait un moment.
« Ce qui n’est pas de vous dans l’ame et la nature
« N’est que mal ou néant et menteuse figure.
« Tous les cœurs séparés de vous et qui croiront
« Trouver en eux leur vie et leur vertu mourront ;
« Ils sont pareils au fleuve orgueilleux de sa course
« Qui refuserait l’eau jaillissant de la source.
« L’humilité reçoit, à genoux sur le seuil,
« Ce flot vivifiant rejeté par l’orgueil.
« Sur l’homme humble et contrit vos présens se répandent,
« Car vous ne vous donnez qu’à ceux qui vous demandent.
« Il suffit, en pleurant, de dire un de vos noms,
« Et tout ce qui nous manque alors nous l’obtenons.
« Autour de nous rôdant l’esprit de mort épie
« L’heure où vous délaissez la maison de l’impie.
« Telle, au soir, sur un mont d’abord clair et vermeil,
« L’ombre envahit le flanc quitté par le soleil ;
« Ainsi le morne enfer occupe chaque place
« Des cœurs dont à pas lents se retire la grace.
« Versez-moi donc à flots ce rayon bienfaisant,
« O mon père, et dans moi soyez toujours présent.
« Je suis prêt au combat, Seigneur, et vous supplie