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Ou l’invitation des arbres et des eaux.
Sa pensée est ailleurs, et, perçant tous les voiles,
Monte sans s’arrêter même autour des étoiles,
Et parcourt sans effroi ces lieux éblouissans
Où l’homme n’entrera que dépouillé des sens.
Ainsi, pour voir le Dieu fermant les yeux au temple,
Père, c’est bien vous seul qu’il cherche et qu’il contemple,
A genoux sur le sable aux brûlantes lueurs,
Sur les gazons baignés de sang et de sueurs.
C’est là qu’abolissant toute humaine doctrine,
Tout aiguillon charnel brisé dans sa poitrine,
Mieux qu’entre les docteurs de Thèbe ou de Sion,
De la lumière vraie il eut la vision,
Et connut, sans terreur ni mouvement superbe,
Qu’en toute plénitude il possédait le Verbe.

Divine région qui confine le ciel,
Solitude où grandit l’homme immatériel,
Il est bon de chercher sur ta lointaine grève
Ce sol vierge de pas où croît la fleur du rêve ;
Où, comme deux époux que nul n’y vient troubler,
Notre ame et le Seigneur aiment à se parler !
Il est bon pour le cœur, quand la chair le gouverne,
De vêtir le cilice au fond de la caverne,
Aux impurs souvenirs d’y creuser des tombeaux,
Et de manger le pain qu’apportent les corbeaux.
Cependant, ô désert de Moïse et d’Élie,
Où sous l’ardent charbon la langue se délie,
Cime où circule un air enivrant et subtil,
Même pour les élus tu n’es pas sans péril !
Nul homme impunément, sur tes rocs téméraires,
N’aborde une hauteur inconnue à ses frères,
Et ne se croit, un jour, dans la splendeur du lieu,
Plus distant des mortels qu’il n’est distant de Dieu.
Le plus rude ennemi pour le cœur d’un apôtre,
Ce n’est pas le plaisir qui triomphe du nôtre ;
Jusqu’aux neiges sans fin plus d’un sage est monté,
Qui tombera du haut de son austérité.
C’est quand les sens vaincus meurent de leur défaite
Que Satan, plus hardi, visite le prophète,
Et parfois, du ciel même envahissant le seuil,
Creuse entre l’ame et Dieu l’abîme de l’orgueil.