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« Au calice de fiel je m’abreuve avant vous.
« Malheur aux flancs choisis pour porter un prophète ! .
« La volonté de Dieu cependant sera faite ;
« Allez, — quoique mon sang puisse, hélas ! en crier, —
« Faire l’œuvre du maître en fidèle ouvrier ;
« Mais pour rendre, en partant, ma douleur moins amère,
« Mon fils et mon Seigneur, bénissez votre mère. »

L’homme que la colombe, aux yeux de Jean charmé,
Baptisait dans l’éclair du nom de bien-aimé,
Courba son front puissant que ceindront les épines,
Prit les mains de Marie entre ses mains divines,
Lui parla longuement d’un retour éternel,
Et partit revêtu du baiser maternel.

O famille ! ô foyer ! temple cher à Dieu même !
O filial amour ! religion suprême !
Doux asservissement qui fait les hommes forts,
Paix qui prépare l’aine aux combats du dehors ;
Loi dont les plus grands cœurs suivent le mieux les règles,
Humble nid où s’accroît l’envergure des aigles,
Joug aimé des plus fiers et des plus triomphans,
Qu’un regard maternel trouve toujours enfans !


III


Or, poussé par l’Esprit dans ses austères voies,
Jésus fuit ce que l’homme a de plus saintes joies,
Sa mère et ses amis, la paix de son foyer,
Ses fleurs, son banc de pierre à l’ombre du figuier,
Et les rêves d’été, les sommeils sur la mousse,
Et du toit des aïeux l’obscurité si douce ;
Tous ces biens que la foule a le droit de goûter,
Mais qu’aux élus le ciel montre pour les tenter,
Ces chastes biens à qui tout prophète renonce
Pour suivre un dur sentier de cailloux et de ronce.
Au voyage sanglant le fils de l’homme est prêt,
Et, marchant au désert, traverse Nazareth
À l’heure où, saluant l’aube qui la ravive,
S’éveille la cité plus fraîche et plus active.
Les joyeux artisans, par le coq avertis,
Entonnent leurs chansons au bruit de leurs outils ;