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« Qu’en ce paisible enclos nous grandîmes ensemble,
« Que toujours je vous eus m’aimant et m’écoutant,
« Et que j’ai commencé de vivre en vous portant.
« Oui, Dieu, me visitant dans mon obéissance,
« Mit la maternité si près de mon enfance,
« Qu’avant l’heure où son fruit dans mon sein eût germé,
« Avant vous, ô mon fils, je n’avais pas aimé,
« Et qu’à votre berceau j’offris, tendre et jalouse,
« Tout le cœur d’une mère et celui d’une épouse.

« Jésus ! depuis qu’un ange, éveillant mon émoi,
« M’eut dit que c’était vous qui palpitiez en moi,
« En vous seul et par vous je m’attriste ou m’égaie ;
« Et, dès l’heure où le fils tend ses bras et bégaie,
« Enfant dans vos baisers, jeune homme en vos discours,
« Vous m’avez été bon et consolant toujours.
« Jamais d’un mot, d’un geste appelant les reproches,
« Vous n’avez affligé votre père et vos proches.
« Un jour, — mais que de joie a payé ce tourment ! —
« Nous avons accusé votre enfance un moment.
« La faute était à moi, mère sans vigilance ;
« Ce souvenir encor m’est comme un coup de lance !
« Pour la Pâque, à Sion, dans la foule arrêtés,
« Nous vous avions perdu dans les solennités.
« Je sais déjà, mon fils, ce que l’absence coûte !
« Trois fois en vous cherchant nous refaisons la route ;
« Ce n’est qu’après trois jours de soucis bien pesans,
« Que nous vous retrouvons, vous, enfant de douze ans,
« Enseignant dans le temple et, droit sous le portique,
« Ébranlant les docteurs dans leur sagesse antique ;
« Et tous vous écoulaient, étonnés et ravis.
« Je pleurais, et bientôt vous nous avez suivis.
« Or, mon cœur conservait ce qu’il venait d’entendre.
« Dès-lors, auprès de nous, toujours soumis et tendre,
« Vous vivez en bon fils, Seigneur, et partagez
« L’humble abri de ce toit qu’en un ciel vous changez ;
« Votre amour souriant sur nos douleurs y brille ;
« Vous gagnez de vos mains le pain de la famille ;
« Par vos travaux constans son sort est adouci ;
« Depuis trente ans, Seigneur, nous vous gardons ainsi.
« Pour son œuvre aujourd’hui que l’Esprit vous réclame,
« Tout mon bonheur de mère échappe de mon ame ;
« Car d’un monde ennemi je sens déjà les coups,