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dissemblances et tant d’analogies. C’est là pourtant, je ne dirai pas un argument, mais une puissante raison de croire. De pareilles vérités ne sont pas, en effet, susceptibles d’une démonstration rigoureuse, et ce travail mystérieux de la poésie populaire, sans cesse renaissant à des périodes correspondantes de la civilisation, est assurément le spectacle le plus propre à nous pénétrer de la grace efficace qui doit ici venir en aide à la raison.

Malgré ce secours inespéré, les théories de Wolf, telles qu’elles sont exposées dans les Prolégomènes, dans les lettres à Heyne et dans les diverses préfaces qu’il publia en tête de ses éditions d’Homère, ont dû subir et subiront encore des modifications avant de s’établir d’une manière définitive. C’est toujours au prix de quelques concessions que les paradoxes deviennent des vérités. Les esprits penchent en général vers la conciliation ; mais quelle est la juste mesure dans laquelle on doit un jour s’accorder ? C’est là ce qu’il est encore difficile de prévoir. M. C. Lachmann, qui, avant de remonter aux poèmes d’Homère, avait fait une étude approfondie de la grande épopée germanique, est de tous les esprits indépendans celui qui est resté le plus fidèle aux idées de Wolf[1] ; il ne se sépare de lui que pour aller plus loin. M. Lachmann ne distingue pas moins de dix-huit poèmes dans l’Iliade. M. Boeckh, bien qu’il ait levé une grave difficulté en démontrant sans réplique la fausseté des inscriptions de Fourmont, fait remonter plus loin que Wolf l’usage de l’écriture. C’est aussile sentiment d’un juge bien compétent, de M. J. Franz, sur lequel pèse aujourd’hui toute la responsabilité du Corpus inscriptionum grocarum. M. Bceckh suppose que dès le IXe siècle avant notre ère les poèmes homériques purent être écrits par fragmens détachés pour l’usage privé des rapsodes. Il reconnaît d’ailleurs l’origine multiple de ces poèmes, et croit rendre raison de l’inspiration commune qui respire partout, en n’admettant à cette œuvre collective que les homérides de Chio, association civile intermédiaire entre la famille et la tribu, et chargée de conserver le culte d’Homère comme les Eumolpides celui d’Eumolpus et les Lycomides celui d’Orphée. Grammairien avant tout, c’est toujours avec un peu de peine que M. G. Hermann touche aux problèmes historiques. Il est cependant revenu plusieurs fois sur la question d’Homère[2]. Après quelques variations, il semble s’être arrêté à ce sentiment qu’à une époque très éloignée et bien long-temps avant Hésiode il exista un Homère qui composa deux poèmes de peu d’étendue, qu’à ces poèmes s’ajoutèrent

  1. Voyez deux dissertations insérées dans les Mémoires de l’académie de Berlin, et réimprimées tout récemment sous ce titre : Betrachtungen ueber Homer’s Ilias, Berlin, 1817.
  2. Voyez de Interpolationibus Homeri. Lipsiae, 1832 ; de Iteratis apud Homerum. Lipsix, 1810, et la préface de son édition des Hymnes d’Homère. Lipsiae, 1836.