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les générations qu’il avait élevées s’étaient répandues en Allemagne et en Suisse, et avaient porté partout ses idées et le respect de son nom. Ses travaux sur Homère gagnaient chaque jour en autorité. Il avait reçu l’adhésion d’IIgen, de Schneider, d’Hermann, des deux frères Schlegel ; Niebuhr allait bientôt lui offrir un secours puissant en luttant de hardiesse avec lui. Les hommes les plus considérables recherchaient son amitié ou ses entretiens. Goethe, invisible et présent, avait écouté ses leçons caché derrière une tapisserie, et disait qu’une heure de conversation avec lui valait toute une année d’études. Wolf fut infidèle à sa gloire quand il n’avait plus qu’à en jouir. Ce n’est pas que nous voulions nous faire l’écho de toutes les attaques qui furent dirigées contre lui : la passion y eut autant de part que la justice. Ses adversaires cédèrent à une jalousie trop commune ; contraints d’admirer son esprit, ils se plurent à rabaisser son caractère. En voyant cependant ses loisirs se consumer inutilement, tant d’entreprises rester inachevées, la vanité prendre en lui la place d’une juste ambition, des liaisons précieuses se relâcher ou se rompre, il faut bien reconnaître que cette dernière partie de sa vie ressemble mal à la première. Wolf ne sut pas résister à l’enivrement des hommages qu’on lui prodigua. Jeté dans le mouvement d’une grande ville, recherché dans une société brillante, il se dédommagea trop bien des privations de sa jeunesse, et ne sut pas mieux régler ses passions que ses facultés. Ses papiers avaient été dispersés dans le tumulte de l’invasion. Cette perte augmenta encore son éloignement pour les longs travaux. Quand le calme fut rétabli, il fut chargé de fonctions administratives qui lui suggérèrent la pensée de devenir conseiller d’état, ministre, que sais-je ? M. G. de Humboldt fut forcé de le rappeler à la dignité de l’enseignement et des lettres. Wolf céda, non sans regret. Quand l’université de Berlin fut constituée, il recommença sa vie de professeur ; ses leçons eurent un grand succès. Les hommes les plus importans dans la politique ou dans les lettres venaient l’entendre ; mais rien ne remplaçait pour lui l’auditoire assidu et docile auquel il était habitué à Halle ; il se découragea bientôt. Tout en se réservant le droit de donner des cours, il ne voulut pas accepter de position régulière. Sa situation n’était pas mieux fixée à l’académie, dont il refusait de suivre les statuts ; il ne vivait guère à Berlin que d’une pension due à la générosité du roi. En 1807, il avait publié, de concert avec Ph. Buttmann, un recueil périodique sous le titre de Museum der Alterthumswissenschaft. Cette publication fut bientôt interrompue, ainsi qu’une autre, Museum antiquitatis studiorum. Wolf n’avait pas l’esprit assez conciliant pour que ces associations pussent durer : il ne savait pas rendre sa supériorité légère. Il était trop porté à ne voir dans ses collaborateurs que des instrumens, à les considérer comme des points perdus sur la circonférence