Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/871

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de rival éloigné d’Homère, il eût vu volontiers son maître dépouillé de son infaillibilité. Il ne niait pas que les choses eussent pu se passer telles qu’elles étaient présentées dans les Prolégomènes ; il faisait même à ce sujet des confidences intéressantes sur les additions successives dont s’était formé son poème d’Oberon, et toutefois, au dernier moment, il reculait devant la pensée de brûler ce qu’il avait adoré. Goethe ne se laissa pas arrêter par ces scrupules. Wolf avait agrandi et renouvelé ses idées sur l’antiquité ; il lui en témoigna noblement sa reconnaissance. Dans le prologue d’Hermann et Dorothée, après avoir convoqué ses amis à un poétique banquet, il porte à Wolf le premier toast

« Et d’abord à la santé de l’homme qui, le premier, nous délivrant hardiment du nom d’Homère, nous a ouvert un champ sans limites ! car qui eût osé lutter avec les dieux, et surtout avec ce dieu unique ? Maintenant il est beau encore d’être le dernier des homérides. »

La même pensée d’affranchissement se trouve reproduite dans une lettre que Goethe écrivait à Wolf peu de temps après, pour lui annoncer qu’enhardi par ses nouvelles croyances, il s’était décidément mis à l’œuvre et comptait lui envoyer bientôt son poème de l’Achilléide. Il ne faudrait pas croire cependant que les convictions de Goethe fussent aussi fermes qu’il le disait et le pensait alors. Ce n’était guère qu’une impression poétique et passagère dans cette ame ouverte à toutes les impressions ; c’était une perspective nouvelle qui séduisait sa fantaisie et qui flattait ses projets. Quelquefois il allait dans ses doutes plus loin que Wolf lui-même ; puis, effrayé du désert où errait sa pensée, il revenait sur ses pas. Alors il encourageait les efforts de Schubarth et de G. Lange pour défendre l’unité des poèmes homériques et se rapprochait peu à peu du sentiment de Schiller. Schiller, dès le premier moment, s’était élevé contre ce qu’il croyait être une profanation. Il a exprimé ses regrets dans des vers qui font oublier son injustice

« Déchirez toujours la couronne d’Homère et comptez les pères de cette œuvre éternelle ; elle n’a du moins qu’une mère et elle en a gardé tous les traits, tes traits immortels, ô nature ! »

Wolf avait quitté Weimar sans être bien fixé sur les dispositions de Merder ; il les connut par un article qui parut peu de temps après dans le journal les Heures[1]. Herder donnait aux théories de Wolf l’approbation la plus flatteuse ; il les revendiquait comme siennes. Il affirmait que les choses lui avaient de tout temps apparu ainsi ; il avait deviné dès son enfance les doutes des chorizontes ; il avait toujours cru

  1. Au mois de septembre de l’année 1795. L’article parut sous ce titre : Homer ein Günstling der Zeit.