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ses contemporains, qui aimaient mieux se tromper avec lui que d’avoir raison avec un autre. Il signala dans Aristarque les traces d’un goût pur, mais affaibli par sa délicatesse même. Wolf devait aller plus loin. Il avait annoncé l’intention de poursuivre jusqu’aux temps modernes l’histoire des poèmes homériques ; il devait aussi soumettre le texte à une analyse minutieuse et en faire ressortir les contradictions. Il est resté à moitié chemin, laissant incomplet son plus beau titre de gloire. Sa renommée n’en a pas souffert ; ce qui existe suffit pour attester la puissance de son esprit et contient d’assez grands résultats. Le style des Prolégomènes est d’accord avec la pensée ; il est énergique et libre comme elle. Wolf n’a pas reculé une fois devant les difficultés de l’expression ni laissé dévier ses idées ; mérite d’autant plus grand que l’antiquité n’offrait aucun modèle en ce genre. Il n’est pas jusqu’aux incorrections mêmes qui, de sa part, ne semblent un nouvel artifice et ne donnent au langage plus de relief et de vie.

Les Prolégomènes produisirent une vive sensation. Ils ne rencontrèrent pas cependant tout d’abord la faveur ni même l’opposition éclairée sur laquelle Wolf avait compté. Il avait pris trop d’avance sur ses contemporains pour trouver beaucoup d’adversaires sérieux. Les érudits et les poètes étaient les plus intéressés dans la question ; c’est aussi à leur suffrage que Wolf tenait le plus ; il attachait moins de prix à celui des philosophes, et les prétentions que Herder allait apporter dans ce débat devaient accroître encore ses défiances. Ruhnkenius, à qui était dédié le livre, ne put se résoudre à rompre avec les préjugés de toute sa vie. Il n’approuvait guère que les principes de critique qui servent d’introduction ; pour le reste, il écrivait à Wolf : « Tant que je lis, je pense comme vous ; mais, dès que j’ai cessé, mon assentiment s’évanouit. » C’est ainsi que plus tard M. Boissonnade, craignant d’entrer dans une discussion qui eût trop coûté à ses habitudes d’esprit, trahissait ses préventions avec tant de bonne grace que l’on eût pu y voir un aveu involontaire. « Je m’étonne, disait-il, et ne puis consentir. Au milieu de la lecture, le livre m’échappe des mains et je me prends à murmurer comme le vieillard d’Aristophane : « Non, tu ne me persuaderas pas, quand bien même « tu me persuaderais. » Wolf fut dédommagé de la justice imparfaite de Ruhnkenius par les félicitations de M. G. de Humboldt. Sans prendre encore un parti définitif, M. G. de Humboldt sentait toute la portée de ses découvertes et les suivait avec un grand intérêt. Leurs relations dataient de plus loin. Depuis long-temps ils entretenaient un commerce de lettres qui développa entre eux une vive amitié. Aussitôt qu’il se trouva libre, Wolf alla visiter M. G. de Humboldt à Iéna. De là il se rendit à Weimar, où il fit la connaissance de tous les hommes considérables réunis à la cour du grand-duc et put recueillir leurs avis. Wieland n’eût pas été fâché que Wolf eût raison. En qualité de poète épique