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d’Homère, et quelques critiques, défenseurs courageux de l’érudition française, ont supposé que le système de Wolf n’est que le développement de ces idées ; la vérité est que Wolf n’avait entendu parler de Perrault, ni de d’Aubignac, quand il entreprit de résoudre le problème homérique. Plus tard, il eut connaissance de ces grossières ébauches, et, pour la première fois peut-être, un doute lui traversa l’esprit ; il sentit chanceler sa conviction ; la vérité ainsi travestie lui faisait l’effet du mensonge ; il fut honteux de songer qu’il avait de pareils auxiliaires. Heureusement il pouvait citer d’autres autorités ; il pouvait, sans donner à personne le droit de contester l’originalité de ses découvertes, s’appuyer de quelques mots échappés à J.-C. Scaliger, à Is. Casaubon, à Perizonius, à Bentlev. Vico, s’il l’eût connu, lui eût fourni un témoignage plus imposant. Dans le livre de la Science nouvelle, avant de fixer la loi qui préside à la marche des nations, Vico s’adresse à Homère comme au témoin naïf des vieux âges. Frappé des incertitudes qui entourent son berceau, il prétend que les villes de la Grèce se disputèrent l’honneur de lui avoir donné naissance parce que les peuples de ces villes sont réellement eux-mêmes des Homères et que les opinions varient sur l’époque de sa vie, parce qu’Homère n’a réellement vécu que dans la pensée et dans la langue des Grecs. Les idées de Vico au moment où parurent les Prolégomènes avaient fait peu de sensation hors de l’Italie. Ce ne fut que plus tard que Wolf put lire la Science nouvelle ; il répara son omission dans un court article inséré au Museum der Alterthumswissenschaft. Le tour de son esprit ne le portait pas à goûter beaucoup ce singulier mélange d’ignorance et de génie. S’il en parla froidement, ce ne fut pas par l’effet d’un sentiment jaloux. Quelque étonnement que puissent causer les divinations transcendantes de Vico, il y a loin encore de ces lueurs fugitives à la vive clarté que Wolf jeta sur la poétique enfance du genre humain.

Le premier problème que Wolf tente de résoudre au début des Prolégomènes est la découverte de l’écriture, question ardue comme toutes celles qui tiennent à l’origine des arts. C’est toujours trop tard, et quand il n’est plus possible de la satisfaire, que la curiosité des peuples s’émeut. Peu exigeante encore à ce premier éveil, elle ne se livre pas à un examen bien sévère, et ses explications complaisantes deviennent plus tard, pour la critique, une cause d’obscurité de plus. L’invention de l’écriture n’avait guère plus occupé les modernes que les anciens. Quelques vagues aperçus de la vérité qu’on pourrait retrouver çà et là n’avaient pas empêché un certain Mader de publier vers la fin du XVIIe siècle un traité des Bibliothèques antédiluviennes. À cette époque, en effet, beaucoup de gens admettaient encore que, inventée par Adam, l’écriture avait été propagée par Seth et par Enoch. D’autres, sans remonter si loin, attribuaient la cécité d’Homère à la peine qu’il avait